The headlights are coming ( Raeni)

Tic tac. Tic Tac. La chambre plongé dans le noir, je fixai du regard la pendule accroché sur le mur. Dans l'espoir de m'endormir depuis maintenant trois heures, je regardais tourner l'aiguille des secondes sans aucun résultat. Le sommeil n'était pas du tout à porté de main, même si je baillais à m'en décrocher la mâchoire toutes les cinq minutes. Le ronflement de mon colocataire aurait aussi pu me bercer, ça fonctionnait chez certaines personnes.

Malheureusement j'étais voué à passer une nuit blanche ou bien à dormir juste quelques heures. Je soupirai, me tournant une nouvelle fois dans mon lit en serrant mon ours en peluche contre moi. Je fermais les yeux, comptant les moutons. 1500 moutons venaient de passer dans mon esprit et ça m'avait plus agacer qu'autre chose. Peut être que prendre l'air m'aiderait à trouver le sommeil.
Je sortais doucement de mon lit pour ne pas réveiller Caleb, et enfilai ma paire de baskets.
Toujours discrètement je quittais la chambre, traversais l'institut silencieuse jusqu'à gagner l'extérieure. La lune éclairait les lieux, se reflétait dans l'étang qui me faisait face. C'était aussi une belle nuit étoilée et un sourire venait se glisser sur mes lèvres. Le silence et l'endroit étaient parfait. Je m'asseyais au bord de l'étendue d'eau et retirait mes chaussures. Mes pieds venaient s'enfoncer dans l'étang, sa fraîcheur me faisant frissonner. A demi-allongé, mes mains me soutenant, je fixai la lune juste au dessus de moi. Quand elle était pleine, elle me faisait penser à mon pouvoir. Il lui arrivait aussi de devenir rouge lors d'une éclipse lunaire. Mon don était bien, quand il restait inoffensif. Raison pour laquelle je l'utilisais rarement, et encore moins en public. Au cas où je blesserai quelqu'un; Pour le moment, je n'avais touché personne dans ces mauvais moments. J'étais dangereux, et on avait beau me rabâcher que ce n'était pas le cas, je n'y croyais pas. J'avais blessé Wendy, ma meilleure amie. Et elle avait eu raison de me craindre.

Je me rasseyais correctement, tendait mes mains devant moi, et faisait apparaître une sphère lumineuse puis une deuxième quelques secondes après. Comme leur mère, elles brillaient et se reflétaient à la surface de l'eau. Je les faisaient alors danser plus loin au milieu de l'étang, se tournant autour comme un couple. C'était beau, ça n'avait rien d'effrayant. Pourquoi est ce que les humains ne comprenaient pas ça ? Parce que le beau pouvait devenir laid. Tout comme un humain pouvait devenir un monstre.

- Raah je vous déteste !

Criais je avant de faire s'évanouir les boules lumineuses. La vie était nulle. Je voulais retourner dans le passé et sauver ma mère. Pour ne pas à aller chez mon père et découvrir mes pouvoirs.

Dans la noirceur de la nuit, lorsque tout est silencieux, c'est là qu'ils sont les plus puissants. Les souvenirs. Ces moments qui appelaient les larmes que je gardais bien cachées au fond de mon âme le reste du temps. Je n'en parle jamais mais mon père me manque à chaque moment du jour et de la nuit. Je donnais le change en souriant et en étant en mouvement perpétuel mais, dans les moments comme ce soir où je me retrouvais inactive et que les souvenirs m'envahissaient, me déchirant le cœur.

J'avais l'impression d'étouffer, me tournant et me retournant dans mon lit. Le souffle court et l'impression que toute ma pression sanguine se concentrait vers mes tempes. Il fallait que je sorte. Absolument. C'est pourquoi je me retrouvais en plein milieu de la nuit à enfiler une robe de chambre et des chaussons pelucheux avant de regarder à droite et à gauche dans le couloir du dortoir des filles pour mieux m'enfoncer dans la nuit.

Ce n'était pas la première foi et certainement pas la dernière. J'étais devenue familière des déambulations nocturnes dans un institut silencieux. Songeuse et triste, mes errements me menèrent jusqu'à l'extérieur. Me poser à côté de l'étang me ferait sans doute du bien.

Alors que je marchais dans cette direction, un spectacle fascinant attira mon attention. De magnifiques orbes semblaient danser sous la lumière de la lune, me distrayant de mes sombres pensées. Je me dirigeais donc vers elle, fascinée. Enfin, jusqu'à ce qu'elles disparaissent d'un seul coup et qu'un grand cri de frustration ne résonne.

« Oh non... C'était si joli. »

Lâchais-je avant de me laisser tomber au côté de la silhouette dont je ne percevais pas encore les traits. Il me fallu quelques instants avant de me rendre compte qu'il s'agissait de Niou. Je lui adressais donc un grand sourire, plutôt contente qu'il puisse me distraire de mes sombres pensées. Enfin, je l'espérais. Il n'avait jamais été un grand causeur.

« Toi non plus tu n'arrivais pas à dormir ? »

J'aimais bien ce petit bonhomme, même s'il m'avait ronchonné après lors de nos diverses rencontres., il était plutôt attachant comme garçon. J'aimerai qu'il me laisse le connaître davantage.

Je pensais être le seul debout à cette heure ci - hors surveillant qui faisait des rondes pour voir si tout allait bien. Avec des jeunes mutants regroupé en un même endroit mieux valait s'assurer qu'il n'y ait pas de mésaventure durant la nuit. Un cauchemar pouvait déclencher un pouvoir sans le faire exprès. Ca ne m'était jamais arrivé ceci dit, il ne s'était manifesté la première fois que parce que j'avais peur dans ce placard sombre. Que personne ne me retrouve. C'était à partir de ce moment là que ma vie avait changé. D'enfant sans mère j'étais passé à un mutant. Mon père m'avait aidé à avaler la pilule, affirmer que je ne pouvais faire de mal à personne. Je l'avais cru, et puis l'accident avec Wendy était arrivé. Je n'avais pas prévu de lui faire du mal, j'ignorais même que ma sphère semblable à une lune miniature pouvait tourner en boule de feu. Son rejet, ses mots étaient ancré dans mon esprit. Elle était après tout, ma seule amie depuis que j'étais arrivé aux Etats-Unis. Dans l'institut, j'avais beaucoup de mal à aller vers les autres, préférant mon coin de solitude. Et si je les blessais aussi ? Mieux valait rester loin de mes camarades pour éviter les risques.
Hélas, tout le monde ne comprenait pas ce danger, Raeni en faisait partie. J'avais reconnu sa voix, et sa jolie chevelure. Ses cheveux ondulés étaient magnifiques, j'étais un peu jaloux mais j'avais jamais exprimé cette envie à voix haute. Il y avait pas mal de choses que je ne disais pas. Je n'étais pas très bavard.

- Non, j'ai fini par abandonner

Déclarais je tout en fixant mes pieds nus sur l'herbe, trempé par l'eau dans laquelle je les avaient baignés. Si Raeni était venu chercher une compagnie pour passer le temps, elle avait misé sur le mauvais cheval. J'étais d'ailleurs un peu surpris qu'elle soit sujette à une insomnie. Elle était toujours joyeuse, et donc à mes yeux, aucun soucis pour dormir le soir.

- Je pensais que prendre l'air frais m'aiderait à trouver le sommeil

Plutôt que de compter des millions de moutons ou de se retourner autant de fois dans son lit. Savoir que l'autre dormait bien, ajoutait aussi une certaine frustration qui n'aidait pas vraiment. Etant fils unique je n'avais pas non plus l'habitude de partager une chambre. La découverte des joies de la colocation me donnait déjà de l'urticaire. Ce n'était pas comme si de toute façon je comptais faire ami-ami avec Caleb.

Tout en posant mes questions à Niou, je jouais distraitement avec quelques touffes d'herbe qui glissaient et re-glissaient entre mes doigts. Ce mouvement m'apaisait, me reconnectant au monde. J'avais beau sourire – je souriais toujours en public, c'était mon armure – je n'arrivais pas totalement à masquer ma mélancolie. Comme je le disais, tout était plus difficile une fois la nuit tombée. Comme si la Lune ne permettait aucun mensonge, aucune cachotterie. Au fond, c'était une chance que j'ai croisé le chemin de Niou. La solitude ne me valait jamais rien de bon. J'étais un animal social, j'avais besoin de contact humain. Je dépérissais sans cela.

« Oui, moi aussi. J'avais peur de réveiller Dahlia à force de tourner dans mon lit. La pauvre. »

Il n'était pas facile de partager un espace aussi réduit avec quelqu'un qui ne parvenait pas à dormir. J'aimais beaucoup ma camarade de chambre, je ne voulais pas perturber son sommeil. Mue par une impulsion, je retirais mes chaussons avant de me rapprocher du bord de l'eau et d'y tremper le bout de mes pieds. C'était agréable. Rien que pour ça, ça valait peut être le coup de ne pas pouvoir dormir.

« Quand j'étais petite et que je n'arrivais pas à dormir, ma mère me préparait toujours une tasse de camomille. Je ne sais pas trop si c'était ça qui m'aidait ou juste le fait qu'elle reste avec moi. »

Papa finissait toujours par nous rejoindre et il me tenait la main jusqu'à ce que je m'endorme à nouveau. Ils étaient ce genre de parents. Avant que la tragédie et l'horreur ne balaient tout sur leurs passages. La plupart du temps, je regardais vers l'avant, mais il y avait des jours où c'était bien plus difficile que d'autres. C'était difficile de trouver le juste dosage entre continuer et oublier. Et je ne voulais surtout pas oublier. Je savais pourtant que mon père ne voudrait pas me voir triste. Je l'entendais déjà me dire de me secouer et de penser à tout ce que je gâchais en temps et en énergie à me morfondre dans le creux de la nuit. Je le sentais si proche et pourtant si loin.

Je secouais mes pieds, éclaboussant la surface de fines gouttes qui se répandaient en cercles concentriques. Action et conséquence, force extérieure troublant la surface de l'eau. Qu'étais-je en ce moment ? La goutte ou la surface ? L'élément perturbateur ou la masse immobile sujette à l'action d'une tierce personne ?

« Tu penses qu'un seul individu a le pouvoir de faire bouger les choses ? »

Cette question me turlupinait depuis longtemps. On avait gorgé mon enfance de tout un tas de préceptes tirés de grandes figures historiques. Je devais être le changement que je voulais voir dans le monde, ne jamais troquer ma liberté contre une sécurité illusoire, aimer chacun comme moi même. Je n'avais jamais eu de problème avec cela. En fait, cela me paraissait même plutôt naturel. Mais, quand je voyais comment tournait le monde, il m'arrivait parfois d'être terrifiée.

Je n'enviais pas vraiment Raeni d'avoir Dahlia comme colocataire. Je n'avais rien contre l'adolescente, juste que je n'appréciais pas son pouvoir. Qu'on ai main mise sur mes émotions ne me plaisait pas, d'autant plus si ce n'était même pas les miens. C'était ce que j'avais entendu au sujet de son don alors je faisais tout pour éviter la mutante. Imaginer qu'elle était en train de faire un cauchemar qui la terroriserait, l'angoisse se répercuterait alors sur la pauvre personne qui partagerait sa chambre. Non c'était plus sur de rester avec un adolescent qui faisait bouillir de l'eau. Vu qu'on dormait pas dans une piscine, je ne risquait pas grand chose. Et puis il avait de toute manière pas intérêt à me toucher. J'étais pas trop tactile alors je préférais qu'on garde ses mains pour soi. Après c'était pas non plus une phobie, disons une préférence.

- Caleb dors comme un bébé alors pour le réveiller

Et puis si je l'avais sorti de son sommeil, ça aurait tant pis pour lui. J'étais simplement sorti parce que ça m'agaçait de ne pas réussir à dormir. Aller dehors avait donc été une idée que j'avais eu et mes pas m'avait amené jusqu'à l'étang. Ici on voyait parfaitement la lune et il fallait avouer qu'elle était belle. Tout comme moi, Raeni s'était mise nu pied pour tremper ces derniers dans l'eau. J'avais fini tout de même par les retirer, je ne souhaitait pas tomber malade. Pourtant quand ma mère avait disparu, que je m'étais retrouvé avec ce père inconnu dans un pays qui l'était tout autant, j'avais souhaité être malade, qu'il m'arrive un accident pour pouvoir retrouver ma mère. Encore maintenant, elle me manquait beaucoup mais l'envie d'en finir m'avait quitté. Je voulais juste être normal, c'était tout ce qui me préoccupait. J'avais légèrement sourit au souvenir de mon interlocutrice. Un passé qui m'était en quelque sorte familier, même si ma mère ne me préparait pas de la camomille.

- Ma mère elle...elle me prenait dans ses bras et me chantait une berceuse...

Je parlais rarement d'elle. Même avec mon père on n'avait pas vraiment discuté à son sujet. De sa disparition, de ses funérailles. Son enterrement avait vite été expédié et j'avais passé plusieurs jours enfermé dans ma chambre à pleurer sur mon lit. C'était le majordome qui était passé souvent toquer pour me supplier de manger quelque chose. J'avais fini par sortir, la jour où une odeur familière s'était glissé sous ma porte. Ma mère me faisait souvent des cookies et Robert en avait acheté - je soupçonnais quelques années plus tard que mon père lui avait glissé que c'était mon met préféré. Ca n'empêchait pas le fait, que mon paternel n'avait pas vraiment été très présent pour me consoler lorsque j'avais fait des cauchemars ou que je n'arrivais pas à dormir.
Je secouai la tête, arrachant deux brins d'herbe pour faire des noeuds avec. Ne pas penser à maman. Je devais tourner la page pour aller mieux. Mais c'était pas facile, surtout que en ce moment j'aurai bien eu besoin de son soutient à elle, et à personne d'autre. Je pouvais pas compter sur ma meilleure amie vu que elle avait un peu frit par ma faute.

- Bah...je dirais que oui...Regarde Kennedy...il s'est servi de la peur des gens contre les mutants pour les manipuler...

Après je supposais que tout le monde n'était pas disposé à réaliser ce genre de prouesse. Il fallait surement avoir la capacité d'analyser les choses très élevés. Exploiter les forces et les faiblesses des situations. Je n'étais certainement pas ce genre de personne, capable de changer quelque chose. J'avais de toute façon même pas encore accepter ce que j'étais.

- Mais ils ont peut être raison d'avoir peur de nous...

C'est vrai que Niou était le colocataire de Caleb ! Ce dernier l'avait évoqué – en massacrant allègrement son nom d'ailleurs – alors que je lui faisais visiter l'Institut. Les deux garçons étaient assez calmes. Au moins ne devaient-ils pas trop avoir de mal à cohabiter. C'était important lorsque l'on devait partager un espace aussi réduit qu'une chambre à l'Institut. J'avais eu un peu de mal à m'y faire au début. Mais, étant plutôt adaptable, j'avais fait avec.

« Au moins vous avez l'air de vous entendre. C'est important pour une colocation. »

Niou n'était pas très loquace mais ça ne me dérangeait pas. J'avais l'habitude de monologuer. J'avais l'impression parfois que ma vie n'était faite que de ça, de longs monologues. Comme si le silence m'était insoutenable. Il y avait sans doute de cela. Je parlais de tout de rien et le sujet dériva vers ma mère. C'était plus facile de parler de Maman que d'évoquer le souvenir de Papa. Même s'il était toujours là, à la marge. Présent dans tout ce que je faisais.

La mère de Niou avait l'air d'être du même genre que la mienne. Maternelle, gentille. Prête à se lever au milieu de la nuit pour réconforter son enfant. Elle n'était pas parfaite. Elle avait sombré après la mort de Papa, m'avait abandonné auprès de soit disant spécialiste qui me transformaient petit à petit en légume. Elle était perdue et quand les choses sont devenues difficiles, elle a choisi de se sauver elle. Je lui en ai voulu mais je comprenais. Vraiment. J'étais sans doute la seule à même de comprendre à quel point le perdre lui avait pu la détruire. Alors j'avais pardonné.

« La mienne chante comme une casserole. C'est vraiment affreux. »

Une vague de nostalgie sembla nous englober tous les deux tandis que je laissais le silence se poursuivre. Ce n'était tellement pas dans mes habitudes que quelqu'un me connaissant mieux aurait sans doute tiqué. Heureusement pour moi, Niou ne me connaissait pas encore assez pour ça. Du moins je l'espérais.

Ne parvenant pourtant pas à me faire à ce silence, je cédais au bout de quelque minute, formulant à voix haute une interrogation semblant venir de nul part mais qui en réalité me poursuivait depuis un moment. La réponse de Niou est honnête mais ne me rassurait pas vraiment.

« Peut être bien. Mais si ce n'avait pas été lui ça aurait été un autre. Ils auraient peut être agi de façon isolée mais ils auraient agi quand même. Des gens qui détestaient les mutants ont fait des choses atroces avant même qu'il soit élu. Je le sais. J'aimerai bien que ce soit possible d'inverser la tendance. Qu'on arrive à trouver un terrain d'entente. Mutant ou non. Parce qu'on n'est pas si différents au fond. »

Je soupirais. J'y croyais dur comme fer mais parfois, c'était difficile quand je regardais les informations et tous ces témoignages de haine.

« Je ne veux pas rester là à regarder le monde prendre feu. »

Dire que je m'entendais bien avec mon colocataire était un peu exagéré. On ne se parlait pas, alors c'était facile de se supporter. Allen n'était pas non plus très bavard, surement l'était il plus avec son frère. J'aurai bien eu plus de mal avec ce dernier qui me taquinait en exhibant son pouvoir quand il me voyait. Je savais pas vraiment ce qu'il cherchait en agissant ainsi, à part me rendre mal à l'aise. Que les autres n'aient aucun soucis avec leur pouvoir c'était bien pour eux, mais il fallait aussi savoir respecter le choix des mutants qui ne raffolaient pas de leur don. Je n'étais surement pas le seul à le détester d'ailleurs dans cet institut.

- Le fait qu'on soit pas très ouvert aide aussi

Quelqu'un d'hyperactif aurait surement le don de m'agacer, et il aurait prit une boule de feu en pleine poire. Enfin, dans ma tête, car je n'avais pas envie de faire du mal. Même à une personne qui m'exaspérerait. Raeni devait surement avoir une chambre plus animée de son côté, car je la voyais mal rester dans son coin et se taire. Déjà quand on était en tête à tête, c'était elle qui parlait le plus,je me contenais simplement de l'écouter. Ou de faire semblant à un moment car il fallait avouer que les longs monologues devenaient un peu ennuyant au bout d'un moment.

- Et toi, tes colocataires elles sont comment ?

Le sujet avait ensuite dérivé sur nos mères respectives, des souvenirs de notre enfance. J'avais eu de la chance d'avoir eu une mère aimante car ce n'était pas le cas de tout le monde. Nulle doute qu'elle m'aurait accepté avec mes pouvoirs, même si c'était la raison pour laquelle mes parents avaient divorcés. J'avais fini par apprendre pourquoi ils s'étaient séparés quand j'étais plus jeune. Ca me paraissait tout de même ridicule de s'être disputé juste à cause de la probabilité que j'ai un don ou non. Maintenant, il était trop tard pour faire marche arrière et je devais avancer sans ma mère. Bien évidemment, ses berceuses et ses bras réconfortants me manquaient encore un peu aujourd'hui. Ca avait été vraiment dur de lui dire aurevoir et de savoir qu'elle ne reviendrait jamais.

- Tu as au moins la chance de l'entendre encore...

Même si elle chantait faux, est ce que c'était vraiment important ? C'était le geste de réconfort qui comptait au final. Et je n'avais pas pu compter sur mon père pour remplacer ceux de ma mère. Finalement, peut être que c'était une bonne chose que je sois venu ici. M'éloigner de lui pouvait être bénéfique. Je ne le voyais pas beaucoup depuis que j'étais arrivé à l'institut il y a un an.

- Je pense bien que les humains n'ont pas attendus Kennedy pour terroriser les mutants...Mais maintenant ils ont un visage pour les représenter...Du coup peut être qu'ils estiment à présent que c'est légitime pour eux de s'en prendre à nous...

Je ne voyais vraiment pas comment faire comprendre à la population que tous les mutants n'étaient pas méchants. Il ne fallait pas mettre tout le monde dans le même paquet. Comme ce pauvre jeune qui s'était fait tiré dessus car il avait des écailles sur la peau. Qu'est ce qu'il y avait de dangereux là dedans ? Ce n'était pas comme si il avait fait apparaître une bombe nucléaire. Après il y avait surement des pays où les porteurs du gène X étaient vu comme n'importe qui.

- Mais on est que des adolescents...et puis honnêtement avec ton pouvoir et le mien on va faire pâle figure si ils sortent les armes

Et puis au fond, je n'avais pas vraiment envie de perdre le contrôle à cause de la panique et à me retrouver à jouer au flipper avec les gens normaux. Mieux valait rester tranquillement ici, à l'abri, loin des autres qui avaient peur de nous.

Caleb, pas très ouvert ? Je ne l'avais jamais trouvé spécialement fermé. Il faut dire que je laissais rarement le choix aux gens, à moins qu'ils décident de m'éviter purement et simplement, j'avais souvent tendance à parler jusqu'à obtenir des réponses. Que ce soit parce que les gens voulaient discuter ou parce qu'il s'imaginait avoir la paix comme ça. Même Niou n'était pas aussi fermé qu'il semblait le croire. Calme et réservé, oui, mais il n'avait jamais semblé prendre ombrage de ma présence. Je l'aimais bien ce petit chou. Il était adorable et touchant. Il avait un je ne sais quoi d'apaisant. Et il relançait la conversation, me demandant comment étaient mes propres colocataires.

« En fait, elles sont plutôt calmes aussi. C'est moi l'agitée de la chambre. Mais elles n'ont pas l'air de trop m'en vouloir. »

Des colocataires, nous étions passés aux problèmes de sommeil puis à nos mères. Sujet nostalgique s'il en était. Ma mère me manquait, même si nos liens s'étaient déjà délités avant ma fuite. Elle restait ma mère et je l'aimais.

« Je n'ai pas revu ma mère depuis le jour où Kennedy a été élu. Juste quelques coups de téléphone par ci par là. »

J'avais bien noté que derrière sa phrase se cachait une peine profonde, deviné la cruelle vérité derrière sa phrase. Je n'osais pas soulever la question car cela m'aurait obligé à me dévoiler à mon tour et je ne pensais pas être prête pour ça.

Je m'étais alors ouverte sur autre chose. C'était personnel également mais moins douloureux. J'avais interrogé Niou sur une de ces questions qui encombraient en permanence mon esprit depuis quelques années.

« Ils ont peur de nous. C'est ça la base de la haine, la peur. Ils ont peur de nous, nous avons peur d'eux et à partir de là, il suffit d'une étincelle pour que tout explose. Si seulement chacun ouvrait les yeux pour vois qu'au fond, on est tous les mêmes. »

Je voudrais tellement que le monde soit un peu plus accueillant et un peu moins terrifiant. Pour les humains comme pour les mutants.

« On est peut être qu'une goutte dans l'océan, mais si on agit et que d'autre nous suive, peut être qu'un jour, ça fera la différence. »

C'est ce que j'espérais en tout cas.

C'était surement étrange de ma part de m'intéresser aux colocataires de Raeni. Je me demandais simplement comment la mutante s'entendait avec elles comparé à moi. On ne pouvait pas dire qu'avec les miens c'était la guerre mais ce n'était pas non plus soirée pyjama et histoire à raconter autour du feu. Mettre trois non bavards dans une même pièce ne risquait pas de mettre une ambiance de folie. Et c'était tant mieux, car je ne savais pas comment j'aurai fait si j'avais eu une personne comme Lissa par exemple en colocataire. Surement que j'aurai préféré passer ma vie dans le salon plutôt que de le supporter. Déjà qu'il m'horripilait à exhiber ainsi ses pouvoirs devant moi. Comme si je n'avais pas de liberté en ce qui concernait mon avis sur mon pouvoir. Le mec pouvait être moitié lézard, moitié chat, très bien, c'était son choix. Mais pas le mien. Je n'aimais pas ce que j'étais, à cause de mon don j'avais perdu ma seule amie et c'était assez douloureux comme sentiment. Bien sur il y avait quelques personnes que j'appréciais ici comme Raeni et Ted. De là à dire qu'ils étaient mes meilleurs amis il ne fallait pas non plus pousser mémé. Wendy était la seule et unique. Celle qui m'avait comprise et jamais posé de questions. Accepté l'enfant étrange que j'étais...jusqu'à une certaine limite visiblement. Elle n'était finalement pas si ouverte d'esprit que cela quand j'y pensais.

- Je suis fils unique alors ça me fait un peu bizarre encore de devoir partager une chambre...

De ce que j'avais retenu, Raeni n'avait pas non plus de frères et soeurs. Mais elle était de toute façon beaucoup plus sociale que moi alors ça ne devait surement pas la déranger comme moi de dormir dans la même pièce que quelqu'un.

- Hum...je ne vois pas souvent mon père non plus...

Elle n'avait pas parlé du sien, du coup j'imaginais qu'il était soit plus de ce monde ou bien qu'ils s’entendaient mal. Mais vu que sa relation avec sa mère avait l'air aussi tendu, je optais plutôt pour la première hypothèse.

- Je...je ne pense pas qu'on soit pareil qu'eux...et il n'y a pas que la peur des uns envers les autres...j'ai peur de moi-même, de mon pouvoir. J'ai fait du mal sans le vouloir alors que si j'avais été normal...rien de tout ça ne serait arrivé...Mais on est obligé de vivre avec n'est ce pas ? Personne n'a encore trouvé de remède...

Si il y avait un sérum qui annulerait le gène X surement que je serai l'un des premiers mutants à le prendre. Ou bien peut être que j'aurai aussi trop peur des effets. Si mes comparses étaient émerveillés par les sphères lumineuses que je produisait, moi elle m'horrifiait avec le risque que la situation tourne au vinaigre.

- Mais ce n'est pas pour autant que je suis d'accord avec la façon de faire des humains envers les mutants...Cette haine doit s'arrêter sinon on court surement à la catastrophe...

Je n'avais vraiment pas envie de voir naître une lutte entre mutants et humains. Une guerre dans laquelle je ne me risquerait pas, car je n'avais pas vraiment envie de mourir non plus.

Comme l'avait deviné Niou, j'étais fille unique. Pourtant, je n'avais jamais vraiment été seule pour autant. J'avais toute une multitudes de cousins. Bien sur, je ne voyais que ceux du côté de mon père. Dans la famille de ma mère, une bonne partie n'avait pas apprécié son mariage avec mon père. Entre mes parents, cela avait été un véritable coup de foudre. A l'époque, ma mère sortait avec Abraham, un jeune homme bien sous tous rapports qui fréquentait le Temple avec ses parents. Futur avocat, le gendre idéal. Mon père, lui, faisait parti de la brigade criminelle et était bien loin de leur communauté. Pour commencer, il était catholique et en plus, d'origine jamaïcaine. Ils n'avaient jamais su qu'il était un mutant mais cela aurait sans doute été la goutte d'eau.

J'avais trois cousines et deux cousins plus âgés, du genre protecteurs. En tout cas, ils l'étaient lorsque j'allais encore à l'école. Je me rappelais qu'ils me suivaient du regard et lançaient des coups d’œils courroucés aux garçons qui m'adressaient la parole. Pourtant, je ne les avais pas vus après l'enterrement. Ils n'avaient pas cherché à m'aider quand ma mère m'avait fait interné. Ils n'avaient pas plus tenté de me joindre le jour de ma sortie. Sans doute que ma crise aux funérailles leur avait fait trop peur. De même pour mes cousines. Mon père était le pilier qui tenait cette famille. Sans lui, à quoi bon ?

« Disons que j'avais l'habitude qu'il y ai toujours du monde autour de moi quand j'étais jeune. Et puis je connaissais déjà la colocation alors ça ne m'a pas vraiment dépaysée. »

A la mention du père, mes yeux allèrent se perdre dans l'herbe tandis que j'essayais de masquer ma tristesse. Je ne pouvais toujours pas l'évoquer. Parler de sa mort, c'était trop douloureux. Cela briserait l'équilibre si ténu que je maintenais depuis ce jour fatidique. Alors, encore une fois, je gardais le silence jusqu'à ce que le sujet dérive plutôt sur notre condition de mutants. Niou n'était clairement pas dans le même état d'esprit que moi. Mais il était plus jeune aussi.

« Mais tu es normal. Le gêne, il fait partie de nous. C'est comme être roux ou avoir les yeux bleus. Tu peux essayer de le cacher, tu peux essayer de faire en sorte d'être dans la norme que la société t'impose mais au fond, même si tu enfouis ton pouvoir au plus profond de toi, ce sera toujours qui tu es. Alors autant essayer d'en faire quelque chose d'utile plutôt qu'une source de terreur. »

Je laissais passer quelques instants, le temps pour Niou de poursuivre.

« Pour que la haine cesse, il faut commencer par s'aimer soit même. Même si ce n'est pas toujours facile. »

C'était une leçon que mon père m'avait apprise mais que j'avais mis plusieurs années à comprendre.

Je n'étais pas très proche des autres membres de ma famille, pourtant je savais que j'avais des oncles et des tantes au Japon. Mais du peu que je m'en souvenais, ils n'étaient jamais venu manger à la maison. De leur part, j'avais seulement une carte pour Noël et ça en restait là. Au moins, ils étaient au courant de mon existence, même si depuis que j'habitais avec mon père, la liaison avait définitivement été coupé. Le dernier souvenir que j'avais d'eux était à l'enterrement de ma mère donc, des visages tristes de perdre un membre d'une famille et surtout, partie si tôt. Un accident de voiture pouvait tout chambouler dans une vie, j'en avais fait les frais. Même si ma relation avec mon père n'était pas très amicale dernièrement, il ne me serait jamais venue à l'esprit de quitter la demeure familiale pour aller vivre avec d'autres personnes. Déjà, il faudrait que j'arrive à les supporter. Et puis non, je tenais tout de même à mon intimité - même si elle était un peu entaché depuis que j'avais des colocataires dans l'institut.
J'étais tout de même étonné que Raeni ait déjà fait de la colocation alors qu'elle n'avait que deux ans de plus que moi...Est ce que c'était lié à ce qui était arrivé à son père ? Même si elle ne me l'avait pas clairement dit, j'avais compris qu'il ne devait hélas, plus faire partie de sa famille aujourd'hui. Je pouvais comprendre ce qu'elle pouvait ressentir, ayant aussi perdu l'un de mes parents.

- Et ça n'a pas été trop dur...de vivre avec des inconnus ?

Bien que Raeni avait grandi entouré de pleins d'amis, ce n'était pas la même chose. C'était sur que pour moi, qui avait été vu comme un extra-terrestre de la part des autres enfants c'était compliqué. Je n'étais pourtant pas méchant, j'avais juste un blocage d'après la psychologue. Et mon pouvoir n'avait pas vraiment amélioré ce côté là. Je craignais de faire du mal aux autres à cause de mon don. Du coup, je ne les approchaient pas trop pour les mettre en sécurité. Ce qui m'arrangeait aussi ceci dit vu que je n'aimais pas vraiment parler. Je pouvais laisser passer un silence pesant pendant longtemps sans ouvrir la bouche.

- Sauf que les blonds aux yeux bleus on ne les pourchasse pas...ce qu'on a, nos donc, c'est pas pareil que le reste...Je sais que je dois accepter ce que je suis, mais c'est dur...Dès que je panique ou que je suis en colère, mon don est hors de contrôle...

Rétorquais je avec un air peiné sur le visage. Je savais que j'étais là pour apprendre à contrôler mon pouvoir, me sociabiliser avec les autres et passer par dessus mon soi-disant blocage. Raeni était plus forte que moi, elle devait avoir eu un père qui lui avait donné pleins de conseils. Le mien m'en avait prodiguer aussi tout de même, mais pas dans le même genre. Et puis je doutais quand même un peu que si tous les mutants s'aimaient, ça mettrait fin à la haine que les humains lambdas nous portaient.

Vivre avec des inconnus n'avait pas été si difficile. En grande partie parce que mes colocataires étaient adorables. Ils m'avaient accueillie comme on recueille un chien errant et, ce qui devait être un passage éclair pour m'éviter la rue s'était transformé en une communauté de vie. J'avais gagné des amis pour la vie – et même un peu plus que ça dans le cas de Zeke. Sans même le savoir, ils avaient assuré mon équilibre à un moment où tout dans ma vie semblait sortir de ses rails. Il avait été mon ancre dans ce nouveau monde et je ne les remercierais jamais assez pour ça.

« Pas du tout. En fait, je ne sais pas ce que je serais devenue sans eux. Ils m'ont sauvé de la rue. »

Et plus je parlais d'eux et plus je réalisais à quel point ils me manquaient. J'avais beau les avoir très souvent au téléphone, ce n'était plus la même chose. J'aurais tant voulu les emmener avec moi à l'Institut. Mais c'était impossible bien sur.

La conversation se poursuivit sur un ton doux amer. Je savais bien au fond que je faisais partie des privilégiés. Mon don ne pouvait faire du mal qu'à moi. Je choisissais de partager ou non ce que je voyais. Je n'avais pas la crainte de blesser mon entourage comme pouvaient le redouter Niou ou Caleb.

« C'est triste mais ça ne date pas d'hier. L'histoire de ma famille, des deux côtés d'ailleurs, est ponctuées de discrimination. On leur a reproché d'être juif, d'être noir, on m'a reproché de ne pas l'être assez... Si on cherche vraiment on trouve toujours quelque chose. Quand tu auras la maîtrise de tout ça, tu apprendras à t'aimer, j'en suis sure. »

L'air soudain solennel, je lui tendis la main, prête à prêter serment.

« On va faire un pacte. On se retrouvera ici dans un an et on verra à quel point tu auras progressé. Tu vas t'épater j'en suis sure ! »

Une fois que Niou fini par sceller notre nouveau pacte, je l'attrapais par la main avant de l’entraîner à ma suite.

« Allez viens, on va aller faire un tour en cuisine voir s'ils ont de la tisane pour nous aider à dormir. Ou mieux, de la glace à la vanille. »

Et sans plus de cérémonie, je traînais le petit asiatique derrière moi.

J’étais surpris face aux révélations de Raeni. J’ignorais beaucoup de choses au sujet de la jeune mutante – car je ne m’y étais à vrai dire jamais intéressé. Je n’étais pas stupide non plus de penser que l’histoire des autres était rose bonbon. Toutes les personnes présentes à l’institut avaient dû subir des atrocités bien pire que ce qui s’était passé avec Wendy. Secrètement j’admirais à présent Raeni qui avait tout fait pour s’en sortir alors que moi je m’étais confiné dans un mutisme et un rejet envers les autres et de moi-même. Il n’était pas difficile d’imaginer la mutante au sein d’une colocation, à rire aux éclats avec ses amis. C’était facile car elle dégageait toujours cette bonne humeur parfois contagieuse.

- Tu as eu de la chance d’être tombé sur eux alors

Comme elle l’avait dit elle-même, grâce à eux elle s’en était sortis. Ils devaient d’ailleurs surement lui manquer vu la façon dont elle en parlait. Mais elle pouvait toujours les appeler ou s’inviter chez eux. De mon côté c’était plus compliqué d’aller serrer dans mes bras Wendy ou ma mère – qui me manquait énormément. Je pensais aussi parfois à mon père mais sans forcément avoir envie de lui adresser la parole. C’était son idée de m’avoir envoyé à l’institut et même si j’étais au milieu de gens qui avait aussi des dons, je me sentais tout de même seul. Ce n’était pas évident de nouer des relations quand pendant toute sa vie on avait été regardé de travers car on avait un comportement de solitaire et qu’on préférait parler avec l’animal de la classe plutôt qu’à ses camarades.

- Ma mère m’a toujours dit que je devais pas traiter les autres différemment à cause de leur couleur ou de leur religion

La discrimination n’était donc pas un  défaut que je possédais. A vrai dire, je ne voyais même pas en quoi ça pouvait déranger. Après il restait bien sur les genres sexuelles et j’étais littéralement gêné quand je voyais un couple homosexuel s’embrasser dans la rue. Au Japon s’était pas vraiment monnaie courante même si on savait pertinemment que ça existait.

- Euh…d’accord…

J’étais un peu hésitant, ne sachant pas vraiment si je serai capable de tenir ma promesse. Il y avait encore beaucoup de crainte en moi en ce qui concernait mon don mais j’avais compris que je devais faire des efforts.

- Mais c’est pas comme ça qu’on fait une promesse

Rajoutais je avec un léger sourire avant d’attraper son petit doigt avec le mien et de joindre nos pouces. Raeni m’avait ensuite pris par la main pour me proposer un goûter de nuit en cuisine. L’idée de dévorer une glace n’était pas détestable – je n’étais pas trop thé. Je suivais donc la mutante sans aucun mot même si le sourire qui s’affichait sur mes lèvres voulait tout dire.