Nobody said it was easy
11 mai 1994 – 7 ansCachée derrière le canapé, Pénélope regardait par un trou dans le dossier, ces deux adultes au milieu du salon. Le drôle de bonhomme chauve avait beau être en fauteuil roulant, il impressionnait la petite fille par son charisme et son visage bienveillant. Il faut dire qu’elle n’en voyait pas beaucoup, des visages avec une expression pareille. Son collègue, debout, tentait de calmer les menaces vociférées et un brin alcoolisé de son père et les cries aigues de sa mère qui refusait qu’on leur enlève leur gamine, aussi embarrassante et agaçante soit-elle. Ils étaient encore capables d’élever une petite merdeuse, non ? Ils arriveraient bien à lui enlever cette saloperie de lumière, ce truc qui s’illumine dans sa main, là ...
Le regard du monsieur chauve s’attarda calmement sur la pièce en bazar, trahissant une mauvaise gestion de la maison et un niveau de vie assez bas. Jusqu’à ce qu’il se fixe sur Pénélope toujours cachée. Cela la fit sursauter. Tout autant que le sourire qu’il lui lança. La petite fille sortie alors une tête timide, comprenant qu’elle allait devoir faire un choix rapidement. Et elle le fit.
2 novembre 2001 – 14 ansCes sept années passées au sein de l’institut Xavier, avait révélé Pénélope. D’une petite fille timide et effacée, elle était devenue une jolie adolescente plus affirmée malgré les quelques doutes inhérents à son âge. Elle avait appris se contrôler, à accepter cette lumière en elle. Sa voie n’était pas encore tracée, mais tout était à portée de bras. Elle n’avait plus qu’à…
Mais aujourd’hui, elle avait les mains crispées sur les genoux. Pénélope tentait de refouler ses larmes et fermait ses yeux de toutes ses forces. Elle ne voulait pas voir le manoir s’éloigner par la fenêtre du taxi. Elle était triste. Simplement. Cette tristesse qui vous étouffe, qui vous oppresse, qui vous bouffe. Et elle était en colère. Tellement. On leur avait expliqué qu’ils allaient devoir rentrer chez eux parce qu’il était devenu difficile de garder l’établissement ouvert. Rentrez chez soi ? Mais c’était l’institut chez elle ! Rien ni personne ne l’attendait ailleurs. Elle prenait cette fermeture comme une trahison, un abandon. Encore un. Le professeur Xavier leur avait pourtant dit qu’il serait toujours là. Qu’il ferait toujours tout pour les aider. Il a menti.
Toutes les portes qui s’étaient ouvertes à elle semblaient se refermer au fur et à mesure que la voiture se rapprochait de la maison où tout avait commencé. Elle revenait au point de départ. Elle devait tout recommencer.
23 juin 2005 – 18 ansIl lui avait fallu quatre ans. Deux longues années à subir les remarques de ses géniteurs, les regards ambivalents des voisins, les moqueries et les attaques de ses camarades d’école. Mais Pénélope se surprit à être bien plus forte qu’elle ne le croyait. Parce qu’elle savait qu’elle allait les retrouver. Jonas, Ella, Fran, Bruce et qui sait combien d’autres encore. Ces enfants qui ont grandi et évoluer en même temps qu’elle au sein de l’institut Xavier. Sa famille. La seule qui comptait encore. Ils s’étaient promis de se retrouver ce 23 juin 2005. L’Institut Xavier n’existait plus, mais les liens qui les unissaient tous étaient pourtant bel et bien présent. La nostalgie d’une vie plus douce et plus sereine les animait.
Ce ne sont pourtant que cinq d’entre eux qui se présentèrent au rendez-vous. Les autres ? Pénélope n’eut jamais de nouvelle. Mais peu importait, dans les cinq, il y avait Josh. Alors tout allait forcément bien aller. Josh, ce grand brun, de quatre ans son ainé. Ils avaient toujours bien accroché, tous les deux. C’est lui qui leur trouva un appartement, c’est lui qui s’occupait de ramener l’argent laissant les plus jeunes finir leur scolarité. C’est lui qui lui donna son premier baisé de vrai amoureux. C’est lui. Lui.
12 octobre 2011 - 24 ansPénélope ouvre en grand les volets en bois en respirant à plein poumon. Le soleil était déjà haut dans le ciel et elle laissa son corps se gorger de sa lumière quelques instants. Mais la bonne odeur des naans tout chauds finit par la faire quitter le lit. Cela faisait quelques mois que Josh et elle avaient emménagés au Sri Lanka. Josh avait trouvé un boulot dans cet hôtel de luxe. C’était plutôt bien payé. Quant à Pénélope, elle suivait une formation auprès d’un maitre de yoga. Elle le pratiquait depuis maintenant plusieurs années et cela l’aidait beaucoup dans sa vie de tous les jours et dans la maitrise de ses pouvoirs mutants. Devenir professeur de yoga ? Pourquoi pas. Après serveuse, plongeuse, modèle pour peintres amateurs, saisonnière dans des plantations de thé, guide dans des musées, croupière, coursière, Pénélope pouvait très bien devenir professeur de yoga.
La jeune femme n’avait jamais bien aimé les études. Trop rêveuses, pas assez concentrée, elle souhaitait avant tout voir le monde et expérimenter. Des diplômes, elle n’en avait pas. Elle était juste débrouillarde, adaptable et sympa.
3 février 2015 – 28 ansLes mains crispées sur le téléphone portable, Pénélope eut un haut-le-cœur qui l’obligea à s’asseoir. Jonas était mort. Son corps avait été retrouvé derrière un restaurant chinois de Dallas. Il portait des marques de tortures. Tué parce que mutant. Tué parce que différent. C’était le deuxième de leur groupe de cinq. Cinq amis, presque frère et sœurs qui avaient fait leur vie chacun de leur côté, mais sans oublier leurs liens. Ils n’étaient plus que trois. Josh, Fran et elle.
12 novembre 2019 – 32 ansPénélope toqua à la porte de Josh, un sac contenant des plats cuisinés à côté d’elle. Leur séparation avait été éprouvante. La mort de Jonas avait profondément marqué Josh qui était au fur et à mesure devenu de plus en plus violent. Il se radicalisait et sombrait dans une folie sombre que même la lumière de Pénélope n’était pas parvenue à chasser. Alors elle avait préféré s’éloigner malgré des sentiments toujours aussi forts. Elle ne pouvait s’empêcher d’y croire encore. Pas à leur histoire. Mais au retour du Josh qu’elle avait connu. Cet homme fort, bienveillant et à l’humour décapant. Alors elle l’aidait comme elle pouvait, lui apportant régulièrement de la nourriture décente, après s’être aperçue qu’il ne mangeait presque plus. Il était bien trop obsédé par son combat pour les mutants. Pour leur intégration. Leur vengeance parfois. Souvent. Beaucoup trop souvent.
Il ne répondait pas. Alors elle ouvrit la porte elle-même, s’avança un peu dans le petit appartement de location enfumé pour tomber sur une scène qui la hante encore. Au milieu du salon dont les quelques meubles de récupération avaient été poussés contre les murs, Josh et quatre autres types qu’elle ne connaissait pas. Ils faisaient face à deux autres, ligotés sur des chaises. Ils avaient visiblement passé quelques heures très éprouvantes, au vu de leurs yeux gonflés, des différentes balafres qui recouvraient leur visage et des différents trous rouges qui ponctuaient chacun de leur membre. Ils semblaient pourtant être encore en vie. L’odeur de sang imprégnait tout l’appartement et les râles des torturés lui filait des frissons dans le dos. La jeune femme leva des yeux effrayés sur Josh qui semblait comme possédé. Il avait dépassé la limite, basculé de l’autre côté.
Deux semaines plus tardPénélope appuya sur la sonnette du manoir d’une main tremblante. La porte s’ouvrit et elle fondit en larmes. Elle était de retour chez elle. Après avoir refusé catégoriquement et pendant plusieurs années l’invitation du professeur Xavier à revenir à l’institut fraîchement rouvert. Il l’avait abandonné, il l’avait mise à la porte. Il était hors de question qu’elle revienne en courant. Elle lui en voulait toujours. Et pour toujours. Elle voulait lui prouver qu’elle était devenue une femme forte, qu’elle avait su prendre sa vie en main, toute seule. Mutante, femme, yogi, amante, pas encore mère, mais elle le serait. Et une meilleure, bien meilleure que la sienne.
Mais tout avait dérapé. Elle ne savait pas dire quand. Mais sans doute bien avant cette fin de journée où elle a tué Josh. Bien avant d’être pourchassée par les sbires de ce groupe radical pro-mutant dont il faisait partie. Ils en étaient venus à traquer tous ceux qui n’adhérait pas à leurs idéaux de tarer. Même les leurs. Il avait fallu l’intervention du professeur Xavier pour qu’elle se sorte de leur griffe.
Alors maintenant qu’elle n’avait plus rien, Pénélope devait rentrer à la maison.