( b e s t i a i r e )

Je ne m’appelle pas Blake Wilson. Non. C’est un nom d’emprunt. Mais c’est celui que je porte depuis maintenant plus de vingt ans (vingt-cinq peut-être même ?). Toutes les relations que je peux avoir aujourd’hui ne me connaissent que sous ce nom et ce prénom. J’ai évoqué une enfance difficile et lointaine pour parler de mon histoire. Je ne suis jamais rentré dans les détails. Avec personne. Certains diront que c’est une véritable tragédie. D’autres n’oseront pas faire de commentaires. Mais c’est le fardeau de ce que j’ai pu faire et de mes pouvoirs qui m’obligent à tout cela. Comment les gens réagiraient s’ils savaient que j’ai tué mon père, ma mère, ma sœur, ainsi que deux autres personnes ? Ils ne seraient plus jamais les mêmes avec moi. Ça j’en suis certain. Ma véritable identité est Jude Freeman-Wells et voici mon histoire.

La jeune femme était assise sur un rocking-chair, une bible ouverte sur les jambes. Elle venait de lire, encore une fois l'ensemble du livre de la Genèse, qu'elle connaissait pourtant par cœur. Un passage un particulier, le chapitre 21 du verset 1 à 7 : « L'Éternel se souvint de ce qu'il avait dit à Sara, et l'Éternel accomplit pour Sara ce qu'il avait promis. Sara devint enceinte, et elle enfanta un fils à Abraham dans sa vieillesse, au temps fixé dont Dieu lui avait parlé. Abraham donna le nom d'Isaac au fils qui lui était né, que Sara lui avait enfanté. »

Cela lui donnait du baume au cœur. Elle et son époux était pasteur baptiste. Chacun d'eux priait le seigneur pour qu'il leur donne un enfant. Pour qu'ils puissent enfin goûter à la joie de devenir parent… Chaque jour, que Dieu faisait, ils priaient. Chaque instant, chaque heure et minute de toutes les journées étaient pourvues à cet effet. Ils ne faisaient pas qu'y penser. Ils étaient complètement obsédés par cela. Complètement obnubilé.

Pourtant… La jeune femme le savait… Les médecins étaient formels. Même les spécialistes dans le domaine le lui avait dit. Elle était stérile. Il lui était complètement impossible de tomber enceinte. Ce fut comme un choque au tout début… Et puis finalement, leur foi leur permettait d'y croire de nouveau. Comme l'Éternel avait pu intervenir auprès de Sara, il allait pouvoir intervenir auprès d'elle. N'est-ce pas ?

Ils avaient pourtant fait les démarches en parallèle pour adopter une petite fille. Elle était d'origine asiatique et n'allait pas être plus âgée de neuf, dix mois quand ils allaient l'accueillir. Ils étaient heureux. Très heureux. Heureux que Dieu leur fasse ce cadeau malgré tout. Mais au fond d'elle… Ses chairs voulaient recevoir un enfant, voulait concevoir un enfant. C'était sans doute inconscient. C'était sans doute désespéré. C'était le cri de son ventre et de sa chair. C'était le cri de désespoir et de la prière d'une fidèle servante à son Dieu que ce soir-là, avec son mari, ils s'adonnèrent aux plaisirs de la chair, toujours dans l'attente d'obtenir un miracle.

Elle avait déjà trouvé le prénom : Jude et ses dérivés en fonction du sexe, qui en hébreu veut dire « Je remercierai Dieu ».

Et c'est ainsi que le miracle se produisait. Neuf mois plus tard et une grossesse des plus belles, un petit garçon naissait. Un véritable miracle de Dieu. Toute la communauté était en joie pour leur couple de pasteur, ainsi que l'ensemble des paroisses associées. Toute la communauté louait le Seigneur pour les deux magnifiques enfants de la famille Freeman-Wells. Tout ce beau monde était si heureux, remplit de gratitude, d'espoir. C'était si beau à voir.

Jude et Skylar, sa grande sœur, grandissait bien. Tous les deux étaient inséparables. Ils étaient les petits diables de la paroisse, mais tout le monde les appréciait grandement. Au fil des années, tous les deux comprenaient l'importance de la mission de leur parent, mais aussi le message véhiculé. Dieu était le rempart de leur vie à chaque instant, à tout moment.

Et puis l'adolescence arrivait avec son lot de problème et de soucis. Skylar était une jeune fille rebelle, qui remettait beaucoup de choses en question. Elle s'éloignait de l'église, de ses parents, mais surtout pas de son frère. Elle avait besoin simplement de se connaître. Elle avait besoin de comprendre d'où elle venait. Une quête de vérité, d'identité. Une quête nécessaire, mais qui passait aussi beaucoup et au grand damne de leur parent, par son détachement de son foyer et de sa famille d'accueil. Ses nombreuses fugues, ses engueulades incessantes étaient quotidiennes. C'était lourd. C'était pesant. Et même si Jude ne comprenait pas tout, puisque légèrement plus jeune, il ne pouvait s'empêcher de défendre sa sœur, de la soutenir et de l'aider autant que possible.


Jude, quant à lui, rêvait de suivre la trace de son père et de sa mère. On lui avait raconté la fabuleuse histoire de son arrivée sur Terre. Et même s'il était persuadé que ses parents et son entourage proche embellissait les choses pour rendre l'histoire encore plus belle et miraculeuse qu'elle ne l'était, il voulait y croire. Dieu l'avait fait naître et si ce n'était pas pour diriger un ministère comme ses parents et prêcher la bonne parole, alors il n'y comprenait rien à rien.

Il enchaînait ainsi les groupes de parole entre jeune, les camps pour jeune chrétien. Il partageait, échangeait sur beaucoup de sujet. Il avait une compréhension somme toute relative des écritures. Il commençait à avoir sa propre critique qui s’aiguisait avec le temps. Ses visions, tout en étant assez proches de celle de ses parents étaient pour le moins assez progressistes. Notamment envers les mutants.

Il n’avait alors que douze ans quand tout cela commençait. Sur demande de son père, qui avait peur d’un conflit d’intérêt, il demandait à deux précepteurs paroissiaux, de venir donner quelques cours à son fils, pour l’éclairer et lui montrer les véritables significations des saintes écritures. Du moins, la version que leur église voulait véritablement transmettre au monde et qu’il allait devoir aussi transmettre, une fois qu’il se serait véritablement engagé sur ce chemin.

Parfois, ils étaient à deux en même temps. Mais la plupart du temps, c’était chacun son tour. Chacun avait sa manière de montrer la voie vers Dieu. Certains disent que les voies du Seigneur sont impénétrables… Jude dirait sans doute plus qu’elles sont teintées de violences et d’abus.

Finalement, dans le fond, son histoire est bien banale. Tout aussi banale que des millions d'autres à travers le monde. Le Pasteur Williams aimait bien faire répéter, écrire encore et encore certains versets jusqu'à ce qu'ils soient bien intégrés, bien compris, de la « bonne manière ». Parfois pour motiver le jeune garçon, il utilisait sa ceinture en cuir et venait titiller la peau de l'adolescent à des endroits qui pouvaient passer inaperçu. Au début, il pleurait. Il se mordait les lèvres. À la fin, il serrait uniquement les dents, sans un bruit. C'était toujours préférables d'être avec lui qu'avec le Pasteur Lawson. Il se targuait d'être l'un des descendants du Révérend Deodat Lawson, qui fut l'un des instigateurs et protagoniste de l'affaire des sorcières de Salem. Il jurait devant Dieu et qui voulait bien l'entendre que son arbre généalogique était vrai et que sa famille à toujours travailler pour faire triompher la volonté et les dessins de l'Éternel. Seulement… Le Révérend Lawson avait une manière bien particulière de voir et de comprendre la volonté et les dessins de l'Éternel. C'était lui le pire. C'était lui, le plus violent. Mentalement. Mais aussi physiquement. Il ne faisait pas que battre le jeune Jude… Comme j'ai pu vous le dire, son histoire n'est pas si originale. Il partage ce secret avec de nombreux autres enfants de l'époque. Le Révérend Lawson avait même réussi à persuader la famille du garçon qu'il devait subir un « stage intensif » de lecture biblique chez lui, dans sa maison secondaire. Il avait réussi à faire croire à tout le monde et même au garçon, ainsi qu'à lui-même que tout ce qui arrivait était la volonté de Dieu, pour que Jude puisse enfin comprendre quel était son véritable rôle, quel était son véritable destin. Bref… Une histoire sordide, mais qui n'est malheureusement pas isolée.


Pendant un an et demi, le fils des pasteurs Freeman-Wells gardait le silence. On lui avait fait comprendre que c'était normal. Alors, comme n'importe quel enfant, il acceptait. Il rongeait son frein en espérant qu'un jour il comprenne et que ce jour-là, alors tout ceci allait s'arrêter. C'était comme ça que cela devait se passer non ?

Et finalement, pendant que sa sœur extériorisait toute sa souffrance, sa colère. Pendant qu'elle montrait au monde entier qu'elle était en total désaccord avec ce qui se passait dans sa vie, son frère, lui, se renfermait, petit à petit. Il se murait dans un silence. La colère et la frustration comme nouvelle amie pour passer le temps et surtout attendre le jour où tout cela allait exploser. Parce que dans le fond, oui… Il savait qu'un jour cela allait exploser.

Thanksgiving. L’action de grâce est le jour où l’on remercie le Seigneur pour tout ce qu’il nous a apporté durant cette année. Tous ses bienfaits, toutes les bonnes choses. C’est une très belle fête. Une magnifique fête où la famille et les amis proches se réunissent. C’est une belle journée. C’est une journée de paix, d’amour, de grâce.

Les quatre membres de la famille Freeman-Wells, ainsi que le Pasteur Lawson et sa femme, s’étaient réunis pour ce repas. Les sourires étaient sur tous les visages. Presque tous. Le jeune adolescent était fébrile. Assis sur sa chaise, il regardait la dinde fixement. Les adultes buvaient leur lait de poule, tandis que sa sœur essayait d’attirer son attention en lui balançant une blague. Il faisait semblant de rire. Mais sa sœur était bien trop maligne pour se laisser berner. Mais elle laissait couler. Elle le connaissait bien son frère. Elle l’aimait plus que tout et c’est pour cela qu’elle laissait couler d’ailleurs.

Les derniers légumes arrivèrent sur la table. Cette dernière était garnie comme pour nourrir tout un régiment. Cela en était presque indécent. Mais c'était ainsi tous les ans. « On va dire le bénédicité » déclarait son père. Chacun se levait. « Révérend Lawson, je vous en prie ». Chacun se donnait la main. Le Révérend prenait la main de Jude. Et tout en récitant sa prière, pendant que chacun baissait et fermait les yeux, le Père Lawson caressait le dos de la main de l'adolescent. Son cœur s'accélérait. Il ouvrait les yeux pour regarder autour de lui, mais personne ne voyait. Personne ne réagissait. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, il avait l'impression qu'il allait crever. Comme si son organe fonctionnait de manière étrange, bizarre. Comme s'il allait se mettre à défaillir. Il voyait des étoiles devant les yeux et en même temps sa respiration devenait saccadée. Il était perdu, étourdis. Des vertiges commençaient à se faire ressentir. C'était infernal. Son cœur loupait un ou deux battements. La prière était terminée. Et pourtant, il tardait à lui lâcher sa main. Le garçon était rouge. Rouge de honte. Rouge de colère. Un mélange de peur et de tristesse. Il venait de se lever, comme pour aller aux toilettes, en s'excusant platement. Une main venait de glisser dans son dos. Il avait de la bile dans le fond de la gorge. Il avait envie d'hurler. Il avait envie de lui arracher les yeux et d'oublier cette journée de « grâce ». Il voulait mourir, là, tout de suite. Foudroyer sur-le-champ. Il priait intérieurement Dieu pour qu'il abrège ses souffrances. Il voulait lui dire quelque chose à l'oreille et son cœur qui ne s'était toujours pas calmé reprenait de plus belle sa course folle. Mais à peine, avait-il eu le temps de prononcer le premier mot que Jude n'était plus là. Il ne répondait plus de rien. Il était déjà ailleurs. Il savait que c'était la fin. Qu'importe la suite, il savait qu'il ne subirait plus jamais tout cela. Il le savait, comme si une petite voix intérieure le lui disait. Et c'était agréable, c'était apaisant. Son cœur ne s'était pas mis à battre moins rapidement pour autant, bien au contraire… Mais il n'était plus aux commandes de son corps. Comme si quelque chose d'extérieur agissait à sa place.



Il se réveillait dans un tout autre endroit. Fatigué. Groggy. Déboussolé. Et fatigué. Surtout fatigué. Oui. Il regardait autour de lui, mais n'entendait rien. Il re-sombrait.



Lorsqu'il r'ouvrit les yeux, il était toujours dans la même pièce, mais cette fois-ci son ouïe était fonctionnelle. Il entendait des « bip » à fréquence régulière. Qui commencèrent à légèrement s'intensifier à mesure qu'il se réveillait franchement. Deux personnes arrivèrent au-dessus de son visage. Un homme et une femme. Il les entendait, mais il ne les connaissait pas. La panique commençait à s'emparer de lui, tandis qu'on lui demandait de se calmer. Ce que, bien évidemment, il n'arrivait pas à faire. Sa bouche était pâteuse. Il voulait parler. Mais il n'y arrivait pas. Ses yeux bougeaient dans tous les sens. On lui parlait d'un institut. D'un endroit pour les gens comme lui. Que tout ce qui s'était passé ces derniers jours n'étaient pas de sa faute et que cela arrivait. Son cœur s'emballait encore. De plus en plus. Il ne comprenait rien. Il n'arrivait plus à respirer. L'homme lui déposa la main sur le front et il se rendormait directement.

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Il mit une quinzaine de jours avant de réellement sortir de sa léthargie et presque tout autant pour récupérer toutes ses fonctions motrices, reflexionnelles. Il ne prononçait pas un mot, mais pourtant une jeune femme était venue le voir et lui avait dit, comprendre et entendre ce qu'il pensait. Elle lui avait expliqué ce qui s'était passé. Qu'ils étaient arrivés trop tard et que son pouvoir s'était brusquement développé d'une force bien trop extrême et intense pour une première fois. Que c'était à cause de cela qu'il était dans cet état. Et que c'était à cause de cela que… Que sa famille et les amis de sa famille étaient tous décédés. Il les avait tous tués. Il était orphelin et il était surtout l'auteur de l'annihilation de toute sa famille.

Cette vie là n'était pas faite pour lui. Pas maintenant. Pas en ce lieu. Malgré ce que l'on pouvait bien dire, les bruits de couloirs circulaient très vite. Trop vite. Malgré les dispositions du corps enseignant, malgré tout ce qu'il avait pu mettre en place pour le protéger, il était celui qui avait tué toute sa famille et même plus, d'un coup… Comme ça. Il était le nouveau monstre. La nouvelle bête de foire. Non pas que cela ne soit arrivé à personne avant lui… Mais à ce moment-là, c'était lui. Comme marqué au fer rouge sur son front.

Il ne parlait pas. De toute manière, on n'osait même pas le regarder. Il n'était pas le bienvenu ici. Du moins pas maintenant. Pas aujourd'hui, alors qu'il pouvait, d'un moment à un autre, provoquer un nouveau cataclysme, une nouvelle catastrophe. Non… Certainement pas.

Alors, dans une logique totalement irrationnelle, immature, il fuguait. Il disparaissait. Jude Freeman-Wells venait de mourir en même temps que sa famille. Plus jamais, il ne voulait pas entendre ce nom, cette histoire. Il allait tout recommencer. Tout depuis le début et surtout, il allait tout faire pour contrôler ce qui lui paraissait incontrôlable. Ce « pouvoir » ou sa malédiction comme il l'appelait.



Ainsi, il était devenu Blake Wilson. Né à Vancouver un soir d’Halloween. Il est devenu le fils unique de Brett Wilson mécanicien, ayant repris l’affaire familiale et de Martha Kavano, épouse Wilson, infirmière à domicile pour les personnes en fin de vie. Malheureusement pour lui ses deux parents sont décédés dans un accident de la route, un soir d’hiver, alors qu’une tempête de neige faisait rage.



C’est comme cela qu’il s’est présenté en arrivant en Europe. Heureusement pour lui, à cette époque là les données biométriques n’existaient pas et il était bien plus facile de se construire une fausse identité. Mais finalement, c’était ça le plus « facile » et le plus « évident » dans toute cette histoire. Pour ce qui concerne le reste… Il n’a jamais été aussi seul, aussi perdu et aussi désorienté qu’après avoir quitté l’institut. Il ne savait pas quoi faire. Il ne savait pas comment procéder. Et de toute manière… Que pouvait-il bien faire ? Il savait qu’il existait d’autres personnes comme lui, mais chacun était différent. Chacun avait ses problèmes à gérer et sa manière de les gérer.

Il était seul. Seul et désemparé.

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Il a vécu durant presque vingt ans à Londres et dans sa proche banlieue, notamment dans le borough londonien de Merton, où il y vivait et passait le plus clair de son temps.

Certains passages de sa vie là-bas seraient inutiles à expliquer ou bien même à évoquer. Futiles, insipides… Bien que par moment il puisse faire des choses terribles, sa vie en était pas moins inutile au possible. Du moins… Durant les cinq premières années de sa vie en Europe. Vivant de petits boulots. De légers larcins grâce à son « pouvoir » qu'il essayait de manipuler tous les jours afin de ne pas être de nouveau en proie à cette déferlante de tempête. Cela criait au fond de lui. Ce vent, impétueux, ce mélangeait à sa colère, son ressentiment, sa haine, son dégoût (de lui-même et des autres). Tout cela donnait un joli cocktail, bien explosif. Il en avait peur… Un peu comme Jekyll et Hide. Comme s'il avait un alter-égo, prêt à bondir dès la première occasion qui se présentait. Il n'en dormait presque plus la nuit. C'était insoutenable. C'était épuisant. C'était…


Il s'est trouvé un petit job dans un bar pour la journée et le début de soirée jusque vingt-trois heures. Ensuite, il travaillait dans une boîte de nuit. Il enchaînait les services. Il enchaînait les commandes. Et plus il vieillissait, plus il prenait en taille et en carrure. Dépassant le mettre quatre-vingt-dix, il était très carré et le fait de s'être mis à la musculation, au sport avec deux de ses collègues (humains), il se développa très vite, très bien. C'était une progression fulgurante. C'était aussi comme une manière de se réapproprier son propre corps. Comme si en faisant tout cela, il se reconnectait à lui-même. Comme si en prenant soin de ce corps, il reprenait soin de lui, de sa vie. Il reprenait conscience qu'il n'était pas que…

Blake Wilson était maintenant bien connu dans le coin. Apprécié. Il avait beaucoup de succès auprès de tout le monde. Il passait bien. Mais il ne se livrait pas. Peu. Rarement. Et puis un jour… Elle était nouvelle. C'était une nouvelle collègue dans le club pour lequel il travaillait. Il s'était tout de suite très bien entendu. L'alchimie s'était produite. Et très rapidement ils se sont mis en couple et même installés. Il filait le parfait amour et étrangement… Il n'y avait pas de loup dans la bergerie. Elle l'avait initié à la boxe. Elle avait commencé toute petite avec ses frères, par le biais de son père qui avait été champion de boxe durant sa tendre jeunesse. Bref… Une histoire des plus banales. Seulement… Il s'est avéré que grâce à sa taille et sa carrure, le jeune homme était très doué en boxe anglaise. Tellement qu'il lui fut demandé de participer à des combats. Étrangement, malgré son morphotype, il était rapide. Son intelligence et sa rapidité de réflexion et d'exécution était remarquable. Personne ne comprenait véritablement comment cela était possible, mais il était implacable. Un taux de réussite avoisinant les cent pour cent. Il était devenu très vite une vedette. Lui… Au fond de lui… Une petite voix lui disait que tout cela était dû à ce qu'il possédait en plus. Sa malédiction… Ce truc qu'il essayait de cacher, commençait à suinter de tous ses pores et c'était grâce à cela qu'il arrivait aussi facilement à se mouvoir dans l'espace, à frapper aussi rapidement et aussi fortement. Il le savait. Il en était certain.


Il avait vingt-cinq ans. Il avait demandé en fiançailles mademoiselle  Temperance  Wilkinson, avec l'aval bien évidemment de son père avant (oui… Il était vieux-jeu sur cela). Le mariage était prévu pour dans cinq mois et c'était le branle-bas de combat pour les préparatifs. Sa promise s'était mise en tête d'aller se chercher une robe seule, pour faire une surprise à tout le monde, pendant que lui s'occupait des derniers préparatifs (commande des menus chez le traiteur, commandes des différentes surprises pour tous les invités, etc.). Il était heureux. Cela allait être grandiose. Kitch, mais grandiose. Et puis… Dans le fond, même si tout ce débordement d'amour pouvait donner le vertige, il savait que sa place était ici et nulle part ailleurs.

Ce soir-là, il l'avait attendu. Longtemps. Ils étaient tous les deux en off et il lui avait préparé son plat préféré avec une bonne bouteille de vin. Un soir comme il aimait en préparer pour sa chère et tendre. Il avait attendu. Et puis… Un coup de fil avait fait tout basculer. C'était sa belle-mère (enfin future belle-mère, enfin…). Temperance avait eu un accident. À la sortie du magasin, avait décidé de rejoindre quelques amis afin de lui faire une surprise à lui, Blake… Mais elle n'avait jamais atteint le bar où ils s'étaient tous donné rendez-vous. Elle avait été renversée par une voiture. Une banale histoire… Une mère de famille trop pressée de rentrer chez elle, après une journée de boulot éreintante. Elle n'avait pas fait attention. Elle n'avait pas vu… Ce n'était pas de sa faute. Pas complètement. Pas totalement. Elle était dévastée et Temperance avait succombée à ses blessures quelques heures après être arrivée à l'hôpital. Elle n'avait pas de papiers sur elle à son arrivée aux urgences, alors… C'était pour cela qu'ils avaient mis autant de temps avant de retrouver sa famille et de les prévenir.

Elle était morte. Comme ça. D'un seul coup. Cela arrivait. Cela était injuste. Son histoire finalement était banale. Elle pouvait arriver à n'importe qui, n'importe quand, n'importe où. Mais…

Lorqu'il l'avait vu, immobile, livide, froide, allongée sur cette table en inox dans cette pièce à moitié verdâtre, blanche… Il avait envie de vomir. Il avait envie de pleurer. De crier. De hurler. Pourquoi ? Pourquoi la vie s'acharnait sur lui ? Pourquoi la vie était-elle aussi… Pourquoi ?


Après son enterrement, Blake était devenu l'ombre de lui-même. Il venait de perdre son emploi, bien trop attristé pour être assidu dans cet environnement qui lui rappelait tous les jours que pendant que son monde s'était arrêté de tourner, personne, oh non personne, ne s'était rendu compte de tout cela. C'était bien trop dur pour lui de se rendre compte que la Terre finalement avait continué son chemin et que ses habitants aussi. Même sa belle famille avait, tant bien que mal, essayé de continuer à vivre, essayé de continuer de survivre. Ce qui lui paraissait complètement impossible. Insurmontable. Irrémédiable.



Il s'était enfermé dans un mutisme profond. Il n'échangeait plus avec personne. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Mais il travaillait. Pas au sens où tout le monde l'entend, mais il travaillait ses pouvoirs. Il voulait être en mesure de pouvoir protéger quiconque se trouvait avec lui, quiconque avait réussi à obtenir son affection ou bien même son cœur. Il ne voulait plus perdre qui que ce soit. Plus jamais. Non. Il ne le permettrait pas. Il était bien plus mature et bien plus alerte qu'avant. Et puis… Ces derniers temps, avec le deuil de Temperance, des images de sa famille lui étaient revenues. Des souvenirs qu'il avait occultés le tourmentait pendant la nuit, mais aussi la journée. Il voyait des images, entendait des bruits. Le vent qui tournait, mais qui aspirait surtout l'intégralité de l'air des poumons de ses voisins. Il voyait ses parents essayer de crier à l'aide. Sa sœur, les yeux révulsés de comprendre ce qui lui arrivait. Il savait maintenant… Il contrôlait le vent, il contrôlait tous ces aspects. Il contrôlait l'air qui permettait à chacun de respirer, il contrôlait tout cela sans distinction. Cela lui faisait peur, grandement peur. Il se savait puissant, mais à quel point ? Tout cela le paniquait. Et lorsqu'il paniquait… Il ne contrôlait plus rien. C'était trop. Tout cela était trop. C’est pour ça qu’il essayait de l’utiliser le moins possible.


Un jour, alors qu'il avait reprit le dessus, alors qu'il travaillait dans le District de North Kensington, il s'est retrouvé dans une situation… Plus que délicate. Un incendie. Celui de la tour Grenfell, le quatorze juin deux mil dix-sept. Il avait de nombreuses notions de physique. Il savait que le feu ne pouvait vivre que grâce à l'air, l'oxygène autour et qu'en distribuant autrement et en manipulant l'air, il pouvait éteindre le feu. C'était risqué. Mais il devait le faire. Il entendait des hurlements, alors qu'il était au sol. Le feu était gigantesque et il ne savait pas s'il allait pouvoir faire véritablement quelque chose, mais il le devait. Au moins essayé. La fumée était dense. Elle lui chauffait le visage, lui brûlait les poumons. De l'endroit où il se trouvait, c'était déjà intenable, alors il n'osait imaginer ce que les pauvres gens qui étaient à l'intérieur endurait. Il pénétrait à l'intérieur de l'immeuble et c'était pire. Il essayait de se concentrer, mais c'était véritablement infernal et insupportable. Il savait très bien contrôler son pouvoir, mais avec la fumée, la chaleur, les flammes… Il se concentrait et sentait son pouvoir s'activer. Il sentait dans ses veines l'afflux de la tempête et des vents qui bouillonnaient. Il se concentrait et avait réussi à diminuer l'intensité de certains feux, à certains endroits. Mais il était incontrôlable. Il était tout simplement trop important. Trop intense. Il s'était répandu à une vitesse folle. Il continuait de se concentrer, mais il savait qu'il n'allait pas pouvoir faire plus. Il savait que ses pouvoirs n'allaient pas suffire. Il avait réussi à sauver quelques personnes et montait progressivement les étages… Mais… À un moment, c'était son pouvoir qu'il venait de prendre possession de son corps. Une autre partie de lui-même s'exprimait. Celle qui ne contrôlait plus rien et qui laissait libre court aux vents qui le parcouraient. Il essayait de toutes ses forces. Il… Mais une explosion, à cause de compteurs électriques et de gaz, c'était produite. Les vents l'expulsèrent hors du bâtiment pour ne pas être tué et balayé par la déflagration. C'était encore trop tôt pour l'instant. Il ne lui manquait pas grand-chose, mais pourtant… Il n'avait pas été en mesure d'aider tout le monde. Il tombait maintenant dans le vide, mais les vents contrôlaient sa chute. Il venait de toucher le sol aussi délicatement qu'une feuille tombant de son arbre un jour d'automne. Il n'avait pas réussi à sauver tout le monde, mais il était déjà trop tard… Les secours étaient sur place et essayait de mener l'affront… Pendant que lui, exténué, venait de doucement s'endormir, en manque d'oxygène. Il avait trop abusé.




Il s'est réveillé. Deux ou trois heures plus tard. Dans un endroit qu'il ne connaissait pas. « Tu es fort. » venait lui susurrer une voix féminine, alors que ses yeux commençaient à s'ouvrir difficilement. « Bien plus fort que tu ne le penses et bien plus que n'importe qui ici ». Il essayait de voir qui lui parlait. « Repose toi encore et on en parlera après ».

Il avait dormi comme un loir cette nuit-là. Cela avait fait bien longtemps. Il ne s'était jamais autant senti reposé et cela lui faisait du bien. Il avait rapidement retrouvé son énergie. En effet, si au début lorsqu'il utilisait ses pouvoirs, les effets secondaires pouvaient se faire ressentir pendant très longtemps, aujourd'hui après une bonne sieste ou nuit de repos, il était en mesure de retourner au combat. Il avait été recueilli par Tamara. C'était une mutante. Elle l'avait vu utiliser ses pouvoirs pour l'incendie et avait décidé de le ramener auprès de son groupe. Elle appartenait à un groupe de mutants qui vivaient à l'ouest de Londres. Tamara avait la capacité de lire dans les pensées, mais également de connaître le « niveau » de pouvoir et de maîtrise des mutants. Et elle avait lu en Blake. Elle savait.

Il avait été bien accueilli auprès de son groupe et avait vécu avec eux pendant quelques années. Chacun lui avait permis de développer ses pouvoirs, chacun lui avait donné l'opportunité d'atteindre son plein potentiel. Tamara avec son consentement, avait cherché à débloquer tous ce qui pouvait entraver son esprit. Leur relation était… Fusionnelle. Ils partageaient tout. Ils étaient bien plus que… Ce n'était pas son âme sœur. Ils étaient des « flammes jumelles ». Elle était puissante et à ses côtés, Blake devenait de plus en plus puissant également. Il n'avait plus de crainte d'utiliser ses pouvoirs. Il n'avait plus de crainte de « dépasser » ses limites ou ce qu'il pensait être ses limites. Il a revécu également le meurtre de sa famille. C'était nécessaire. Pour finir ce travail, pour atteindre son maximum. Pour enfin ne plus être gêné, encombré pour toutes ces barrières mentales, ces souvenirs de merdes, toutes ces petites choses qui pouvaient être un poison pour lui, pour sa vie, pour sa nature de mutant. Il avait déjà fait un travail important sur lui, par le biais du sport, grâce à Temperance, grâce à Tamara et tous les autres mutants qui accompagnaient Tamara. Sa vie était souffrance, mais aujourd'hui, il savait que sa vie allait aller dans le bon sens.

Il suivait de loin les élections dans son pays d’origine. Il ne voyait pas d’un très bon œil l’arrivée au pouvoir de Kennedy. Malheureusement, il n’avait strictement rien à voir avec son prédécesseur du même nom. Il était anti-mutant et avait basé toute sa campagne, ainsi que sa politique dessus. Et c’est à ce moment-là qu’il a décidé de revenir sur le sol du nouveau continent.


Pourtant, il était bien avec Tamara. Pourtant, sa vie était avec elle. Mais elle savait. Elle savait tout et savait aussi qu'il devait le faire. Elle lui avait « facilité » la tâche. Elle avait disparu, du jour au lendemain, sans laisser de trace. Le cœur de Blake était vide sans elle. Il avait même l'impression d'avoir des difficultés à respirer… Un comble pour un homme qui était capable de maitriser l'air, n'est-ce pas ? Mais c'était ainsi. Il était revenu quelques semaines après la réouverture de l'institut. Il ne savait plus vraiment si cela était comme dans ses souvenirs. Il avait peur d'ailleurs de cela. Que l'on découvre la vérité, sa vérité. Il n'était plus le même qu'avant. Il le savait. Mais, il avait marqué les esprits à une époque. Il avait peur que sa véritable identité soit révélée, alors que… Finalement, il avait passé plus de temps sous le nom de Blake Wilson que sous les traits de Jude Freeman-Wells.

Il connaissait la vérité et il savait qu'il n'allait pas pouvoir la cacher pendant bien longtemps, mais il savait aussi que Jude n'existait plus. Il était mort, depuis bien longtemps et personne n'était en mesure de le faire revivre. Le professeur Xavier allait très certainement se douter de la supercherie, mais il savait aussi qu'il lui laisserait l'opportunité de divulguer l'information comme il le souhaitait et de la manière dont il le souhaitait. Il était comme cela. C'était un grand homme. Un altruiste.


Il avait trouvé une place de professeur d'anglais et ce n'était pas une mince affaire. De nombreux étudiants étaient étrangers et leur accent était… Mais il s'amusait. L'ambiance était plutôt bonne. Aussi bien entre professeur qu'entre les élèves et même si parfois il avait l'impression de devoir faire le travail d'une sage-femme dans un planning familial, cette situation lui convenait parfaitement. Il était heureux et serein, comme cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas été.