(Cobain) We've been on the run, driving in the sun

"Ah-- comment tu fais pour écouter ces horreurs? - T'es en train d'insulter la reine Katy Perry là?"

La face d'ange de Cobain se plissait au niveau des yeux, deux cernes profondes soulignaient le contour de ses ovales chaudes, il se mit à rire le bras pendu à la fenêtre.

"Eh fais pas ça, c'est dangereux.
- Dangereux de vivre?" Il faisait des vagues, l'air caressait les os frêles de ses bras, il chantait en duo avec la radio, dodelinait de la tête, les couleurs du ciel étaient en train de fondre derrière le flanc des montagnes, entre rose et jaune. Sa mère tapotait sur le volant distraitement, elle laissait tomber quelques cendres de sa cigarette. Il était dix-huit heures quand elle se décida à changer de station histoire d'écouter l'état du trafic.

Les commentateurs parlaient d'un discours qui avait fait beaucoup de bruit dans la journée, un politicien qui montait en popularité face à une certaine Kant, Cobain écoutait distraitement...

Le bourdonnement remontait, Cobain traçait de longs cercles dans ses cheveux bouclés pour ne pas suivre le bruit, puis nerveusement, il ouvrait la boîte-à-gant, tirait le casque et son fil tournicoté pour le planter sur ses oreilles.

"Cobain est-ce-que ça-" Il entendit la moitié de la phrase de sa mère, le reste fut avalé par du Linkin Park.


« C’était quoi! Allez dis! De l’acide? De la meth? MDMA? LSD? »

Ils se regardaient dans les yeux, Papa l’interrogeait, poussant la tête dans le vide, pointant avec son nez tandis que Cobain dégageait l’eau dégoulinant de tous les côtés, le froid le prenant au corps violemment, il n’arrivait à rien. Ses semelles couinaient contre les rebords de la baignoire, il n’osait pas répondre, il essayait du moins de formuler une réponse au plus profond de son coeur, lui prouver que ça lui importait, qu’il n’avait pas plongé dans la drogue ou dans l’alcool même si il devait le lui accorder, tout ça ressemblait à une addiction.

Le silence se tasse sur un grognement de son père mais les vagues continuent, le décor est ondulant, Cobain distingue des couleurs il fait peut-être une réaction à un produit chimique ou bien il est atteint d’une forme rare de daltonisme. On ne sait pas grand chose du cerveau humain après tout sur l’échelle des connaissances. Il en sait un tas sur un tas de sujets Cobain et pourtant il ne sait presque rien alors il conçoit cette idée. Voilà c’est un garçon bien, un garçon rationnel.

« Si j’ai pris quelque chose c’était pas de mon plein gré. »

Il s’essaye honnête, la mâchoire claque, il a très froid, il se tient les épaules. Son père voit bien qu’il est sincère, il hoche la tête. Il propose qu’ils aillent à l’hôpital. Cobain a horreur des hôpitaux. C’est une phobie bien commune, une phobie bien connue et il ne saurait trop expliquer s’il parle de l’odeur des gens, de ceux qui sont nettoyés à la bétadine ou de ceux en train de mourir. Peut-être qu’il parle des fresques imprimées sur les murs qui veulent faire passer l’endroit pour un endroit chaleureux mais là-bas tout est question de valse entre la vie et la mort. Cobain ne rechigne pas cela dit, il se tient bien dans la voiture, il essaye même de dessiner quelques oiseaux marins dans son cahier et à défaut de réussir il a demandé à son père de ne pas trop s’inquiéter et son père a acquiescé. Pour Cobain c’était amplement suffisant. Monsieur Delano a jeté un coup d’oeil au vernis sur les doigts de son fils et ensuite il s’est concentré sur la route.


Days like this I want to drive away
Pack my bags and watch your shadow fade

« Cobain?
Cobain. Arrête tu veux ça m’agace. »

Il s’était mis à fredonner, ça lui faisait ça de voir les paysages défiler. Au début il avait réfléchi au divorce, au début quand il regardait le corps du pays onduler il se disait des paroles défaitistes sans les dire à voix haute, il se rappelait le bon vieux temps. Il commençait à penser à Maman et à la dernière fois quand ils avaient fait le chemin pour aller au concert de country qui la faisait remuer sur le siège de la Volvo. Les Delano ils n’étaient pas compliqués, ils vivaient là sans demander leur reste, personne ne se détestait dans la famille, rien de tragique, pas de lourds secrets à mettre au bas d’un testament en petits caractères. Maman aimait bien la country parce que ça passait souvent à la radio et même si elle ne pouvait citer que Taylor Swift elle aimait énormément ça, c’était parti de là aussi futile que cela puisse paraître. Elle s’était mise à rayonner et Cobain s’était ébahi, elle connaissait la chanson par coeur, lui n’osait pas lui dire: On dirait que tu vas exploser, tu ressembles au soleil, mais en chair et en os et je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle.

« Papa c’est ma faute? »

Monsieur Delano ne quitta d’abord pas la route des yeux. Monsieur Delano mourrait souvent d’envie de passer par la voie d’arrêt d’urgence pour doubler tous ces fonctionnaires débiles mais il avait aussi un sens presque névrosé des lois et des règles. Il fixa donc la ligne en pointillés devant lui. Comme il aimait que tout soit droit, non, il ne voulait pas que son fils aille de travers. Est-ce-qu’il aimait son fils? Enormément. Est-ce-qu’il supportait de le voir hors des normes, dans tous les sens du terme? Pas une seconde. Il aurait voulu se convaincre que c’était parce qu’il voulait le meilleur pour lui, sa sécurité, son bien être. En réalité toute cette histoire de Kennedy et d’êtres surhumains lui donnaient la gerbe. Il voulait se garer, hurler un coup sur Cobain et reprendre la route, voilà ce qu’il voulait faire: Tracer jusque l’Etat le plus proche, lui donner cinquante dollars et le laisser se démerder.

« Non fiston. »

Ça c’était impulsif, objet de caractère, il se détestait d’avoir ne serait-ce qu’une seconde envisagé ce scénario. Sa main passait brièvement dans les boucles sombres de Cobain. Lui qu’il avait tenu dans ses mains, pour qui il avait eu peur, effroyablement, de le perdre, de mal faire. Maintenant quand il le regardait il ne savait pas quoi penser. Parfois il était pris d’impulsions affreuses, il voulait lui dire qu’il était déçu de voir à quel point il faisait n’importe quoi avec sa vie. Il ne comprenait pas pourquoi il parlait si peu, pourquoi ils n’avaient pas les mêmes goûts alors qu’il étaient père et fils, pourquoi Cobain préférait sa mère. Il attendait que Cobain lui ramène une copine. Grand dieu il aurait voulu le genre de drame dans lequel Cobain lui ramène une gamine enceinte plutôt que de ramener ce monstre à la maison.

Dans son estomac ça grouillait de bleus et de noirs comme de la bile, il s’en faisait, ça il s’en faisait de la bile. Il s’en voulait d’y assister seulement aujourd’hui, de lire seulement aujourd’hui un peu de son père quand l’orange fourmillait dans ses joues, il voulait lui dire, oui je comprends absolument tout mais ce n’était pas le cas. Cobain restait là, dans le siège passager, il entendit Papa couper le moteur, dire qu’il descendait chercher quelques clopes, il voyait sur le siège derrière l’enveloppe craft avec l’adresse de l’avocat de la famille. Et tandis qu’il ne distinguait plus rien de particulier, il pleurait à chaudes larmes, les paumes essuyant les giboulées de chagrin, un goût de sel très prononcé, très intense sur le contour de la bouche. Cobain se demandait si c’était ça lire dans les pensées et il se faisait la réflexion, si c’était pas avec des mots, alors à quoi ça servait? A quoi est-ce-que ça servait d’aller si mal pour des broutilles, des bouts de rien du tout, qu’est-ce-que ça avait de si dingue? Qu’est-ce-qui lui valait une place dans une école remplie de gens les plus particuliers?