Cassandre prenait doucement possession de son nouveau lieu de travail, cherchant à comprendre - voire optimiser - le rangement de la salle. Elle qui était ordonnée à tendance maniaque, elle avait du mal à comprendre que le matériel soit disposé un peu n'importe où, comme si les précédents soignants avaient juste mis les choses là où il restait une place.

Elle avait donc tout sorti des placards, et triait maintenant le matériel selon son utilisation, vérifiant les dates de péremption. Certains équipements semblaient dater d'avant la fermeture de l'école, et Cassandre espérait que le budget de l'institut pourrait lui permettre d'en obtenir de plus récents.

Avec un soupir, elle se demanda quel était le budget de l'infirmerie. Elle savait que certains élèves avaient des mutations pouvant les blesser eux-mêmes ou blesser les autres, et elle n'avait pas de mal à imaginer ce que pouvait donner une dispute entre deux adolescents tiraillés par leurs émotions et leurs pouvoirs - elle en avait vu l'exemple quand elle vivait à New-York, dans certaines manifestions pro-mutants. Mais en dehors de ces bagarres, quel genre de patients aurait-elle ? Elle n'avait que rarement croisé des mutants malades au cours de sa jeune carrière, mais une fièvre mal tolérée pouvait empêcher un mutant, notamment enfant, de contrôler ses pouvoirs, et elle se doutait que nombres de parents d'un enfant mutant n'emmenaient tout simplement pas leurs enfants chez le médecin.

Après avoir nettoyé les placards de l'infirmerie, Cassandre entreprit de ranger l'équipement qu'elle gardait, tout en faisant la liste dans sa tête de tout ce qu'elle allait devoir mettre en place. Des dossiers pour chaque étudiant et membre du personnel. Vérifier que chacun avait bien fait ses vaccins - il n'était pas question de refermer l'école à cause d'une épidémie, alors que tant d'enfants avaient besoin de ce refuge. Connaître les antécédents médicaux des tous, et savoir si certains pouvaient avoir peur d'un environnement médical. Peut-être même créer une pièce faisant moins médicale pour ces personnes-là.

Elle se redressa en faisant craquer son dos, avant de se recoiffer. Avec tout le rangement, ses cheveux avaient commencé à s'échapper de sa queue de chevel, et des mèches avaient glissé devant ses yeux, gênant sa vision.

Une fois satisfaite de son travail - et profitant de son bureau de nouveau vidé -, Cassandre se laissa tomber sur sa chaise, se demandant qui serait son premier patient.

Cassandre leva la tête en entendant la porte s'ouvrir. Elle dut cependant s'armer de toute sa retenue pour ne pas grimacer en voyant l'état de la jeune fille.

Sa patiente présentait une coupure et un énorme hématome sur le bras, et sa chaussette était imbibée de sang, cette blessure-là la faisant boiter. Et pourtant, elle gardait son sourire angélique, comme si rien ne pouvait l'atteindre.

Cassandre se releva rapidement de sa chaise et entraîna le plus doucement possible la jeune fille vers la table d'examen, essayant de ne pas appuyer sur ses blessures. Dans le même temps, elle essayait de se rappeler du trombinoscope donné gentiment par le professeur Xavier, et si elle se souvenait du visage poupin de sa patiente, elle était en revanche incapable de mettre un nom et un pouvoir sur celle-ci.

« Tu veux bien me rappeler ton prénom ? » demanda-t-elle doucement tout en commençant à examiner le bras de la jeune fille. « Et me raconter comment tu as réussis à te blesser autant juste en cuisinant ! »

Elle souriait gentiment, mais restait impressionnée de la résistance à la douleur de son interlocutrice ! Peu de personnes auraient réussi à marcher de la cuisine à l'infirmerie sans aide et en gardant leur bonne humeur.

Le petit pansement posé sur la coupure ne permettait pas de la recouvrir, mais la plaie était relativement propre, aussi Cassandre changea juste pour un pansement plus adapté après avoir rincé au sérum physiologique, histoire de la protéger des saletés les jours suivants. En revanche, le bleu qui entourait la coupure lui paraissait plus étrange. Un peu comme une tâche d'encre s'étendant sur du papier buvard.

Du bout des doigts, en évitant de s'approcher de la blessure en elle-même, elle appuya sur le bleu, surveillant les réactions de la jeune fille pour déterminer si cela lui faisait mal.

Leena Draouen... La jeune fille qui disposait du don de colorer ce qu'elle touchait ! La description de ce don avait fait sourire Cassandre. Un talent innocent et plutôt amusant, qui correspondait assez bien à la jeune fille qui lui faisait face.

Une fois rassurée sur la tâche bleu du bras de Leena - grand et imposant pour un hématome, mais si c'était juste une manifestation de ses pouvoirs, ça lui allait ! -, Cassandre retira doucement la chaussure de sa patiente/

« Je vais enlever ta chaussette. Tu as le droit de crier si c'est trop douloureux. »

Cassandre vérifia que ses gants étaient bien en place avant de commencer à décoller la chaussette, qui adhérait un peu trop à la plaie à cause du sang coagulé. Elle essayait d'y aller doucement, mais sans non plus trop faire durer les choses. Elle ne voulait pas que Leena souffre inutilement - elle se demandait même comment la jeune fille avait pu atteindre l'infirmerie seule, avec ce qu'elle pouvait deviner de l'importance de sa blessure.

« Pour être infirmière, il ne faut pas craindre le sang ou les cris. »

Peut-être que si elle commençait à répondre à la question de Leena, cela changerait suffisamment les idées de la jeune fille pour qu'elle ne soit pas trop focalisée sur la douleur des soins qu'elle allait lui administrer.

« Et puis, il faut aimer parler avec les gens. Quoique... Avant, je travaillais surtout avec des petits enfants, donc le dialogue était surtout à sens unique ! » plaisanta Cassandre.

Elle commençait à rincer le pied de Leena du sang qui teintait sa peau jusqu'à la cheville, rendant impossible d'évaluer les dégats. Plutôt que de lui faire mal en tapotant sa peau avec une compresse, Cassandre avait préféré opter pour une carafe d'eau, se fichant de tremper le papier d'examen.

Rapidement, la plaie de Leena se révéla, et Cassandre fut soulagée de contaster que la plaie n'était pas si profonde - elle devrait pouvoir la soigner sans problème. Attrapant une pipette de sérum physiologique, elle arrosa la plaie, histoire de rincer les minuscules bouts de verre qui auraient pu se cacher dans la blessure.

« Tu as de la chance, ça ne m'a pas l'air très profond. »

Cassandre sécha ensuite la peau de sa patiente, avant de placer des strips pour refermer la plaie en évitant le plus possible de laisser une cicatrice. Elle plaça ensuite une compresse le long de la plaie puis banda la cheville de Leena.

« Je vais te donner de quoi refaire le bandage de toi-même. On reverra ensemble la plaie d'ici une semaine. Et si tu as mal ou le moindre souci, tu n'hésites pas à venir me voir, ok ? »

Cassandre sourit à Leena tout en rassemblant le matériel qu'il faudrait à la jeune fille. Finalement, son premier soin était impressionnant mais plutôt bénin. Moins grave que ce à quoi elle s'attendait dans une école de mutants - certains pouvoirs étaient bien plus destructeurs que celui de Leena !

« Je vais te chercher une paire de béquilles, ce sera plus simple pour toi, au moins les premiers jours. »

La plaisanterie de Leena aurait pu être choquante, mais la jeune fille l'avait dit sur un ton tellement innocent que Cassandre ne put s'empêcher de sourire. Ses collègues avaient raison, Leena était un rayon de soleil parmi les membres de l'institut - la plupart sombres et acceptant mal leurs dons.

« Je suis là pour vous soigner, tu sais, » répondit-elle doucement à la remarque de Leena sur sa gentillesse.

Ce qui était vrai. Elle était une infirmière après tout. Même si elle aimait plus que tout voir ses patients, arrivés dans un état catastrophique, repartir en forme et avec le sourire, lui donnant la certitude de les avoir bien traités.

Elle enleva ses gants tâchés et se lava rapidement les mains avant d'en enfiler une nouvelle paire. Puis, d'un placard, elle sortit une paire de béquilles et s'empressa de les adapter à Leena.

« Tu n'es pas obligée de les utiliser, mais je pense que les premiers jours, elles te seront utiles ! »

Sa jeune patiente aimait peut-être cacher sa douleur, mais ça n'empêcherait pas Cassandre de tout mettre en œuvre pour la soulager !

« Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'intuition que tu vas souvent revenir me voir, toi ! »

La maladresse de la jeune fille la désignait comme patiente chronique de l'infirmerie, même si Cassandre espérait que ses prochaines visites seraient pour des plaies moins graves que celle qu'elle venait de lui soigner. Pas qu'elle n'aimait pas les cas compliqués, mais elle n'avait pas envie que les blessures de la vie n'abîment la douceur et l'innoncence de Leena.

« Tu pourras peut-être même m'apprendre quelques mots dans ta langue maternelle. »

Les langues étrangères étaient l'une des passions de Cassandre, et se retrouver dans une école avec des enfants - et peut-être même quelques adultes - de différentes origines l'enthousiasmait particulièrement.

Cassandre observa Leena boitiller avec les béquilles, légèrement inquiète de l'état dans lequel elle allait retrouver à la fois sa patiente et ses béquilles - et la coloration de ses dernières allait sans doute être mise à mal pendant les prochains jours. Peut-être devrait-elle plutôt essayer de trouver un fauteuil roulant pour Leena, même si la jeune fille avait l'air assez maladroite pour se faire mal avec un fauteuil.

« D'ici quelques jours, tu auras les bras plus que musclés » remarqua Cassandre avec amusement.

Jouant toujours avec ses béquilles, Leena accepta de lui apprendre sa langue maternelle, ce qui mit Cassandre en joie. Elle appréciait les langues étrangères, mais ce n'était pas toujours simple de les apprendre seule. Rapidement, sa motivation s'évaporait parce qu'elle n'avait personne pour l'aider à prononcer et parler la langue, et elle arrêtait avec frustration.

« Tänan väga » répéta-t-elle à mi-voix, essayant de reproduire le doux accent de Leena avec difficultés.

Elle allait devoir se procurer au moins un manuel basique d'estonien et un dictionnaire si elle voulait essayer de retenir du vocabulaire de base.

« J'aimerais apprendre du vocabulaire de base. De quoi te demander comment tu vas, des choses comme ça. »

Cassandre demandait ça autant pour son amour des langues que parce qu'elle savait que lorsqu'on était inquiet ou blessé, on parlait majoritairement sa langue maternelle. Et vu les problèmes politiques des Etats-Unis, elle n'excluait pas de se retrouver avec des élèves blessés, voire une attaque sur l'école. Le Président était tout à fait capable de provoquer un combat dans un endroit contenant majoritairement des enfants inoffensifs.

« J'ai bien un accent, mais pas du tout anglais ! » sourit-elle. « Comme toi, je suis étrangère. Je suis française. »

C'était assez drôle que Leena puisse confondre son accent avec un accent anglais, vu la compétition plus ou moins cordiale qui avait régné entre les deux pays au fil des siècles.

« Parfois, ça me manque de n'avoir personne à qui parler dans ma langue. Je suis un peu nostalgique de mon pays, même si ça fait presque dix ans que j'en suis partie. Et parfois, je suis bien contente d'être seule dans mon monde quand je lis ou que j'écris. »

La nostalgie dépendait des jours. Quand elle était vraiment fatiguée ou stressée, qu'elle perdait ses mots en anglais, elle se frustrait rapidement quand on ne la comprenait pas. Mais quand elle allait bien, ses dix ans de vie aux Etats-Unis faisaient que l'anglais lui venait naturellement, sans même qu'elle n'ait à y penser.

Elle trouvait ça presque magique, cette façon dont une simple langue permettait de se faire comprendre d'un bout à l'autre du monde. Elle avoit croisé un mutant, quand elle vivait encore à New-York, dont le don lui permettait de comprendre et parler toutes les langues dès qu'il en écoutait quelques phrases. Elle se souvint avoir été jalouse de ce don à la fois discret et pratique.

« Enfin, j'espère que malgré mon accent, tu comprendras que tu es attendue ici quand tu te blesses ! N'attends pas que ça s'aggrave ou que tu aies trop mal. La santé est importante. »

Elle sourit gentiment à Leena, espérant que cette dernière n'ait pas peur de la déranger même pour des broutilles.

Cassandre répétait les mots que lui enseignait Leena, sentant son accent français s'accentuer sur ces nouveaux mots et ces nouvelles sonorités. Elle avait du mal à placer sa langue correctement pour bien faire ressortir les mots, ce qui allait lui donner quelques soirées en tête à tête avec la voix de Google Translate qui allait l'aider à répéter ces quelques mots jusqu'à ce qu'elle arrive à les prononcer sans trop de mal !

« Minu nimi on... Cassandre » tenta Cassandre.

Elle trouvait cette phrase un poil plus simple que les mots que Leena venait de lui apprendre. Mais peut-être était-ce juste une impression... Car aux oreilles de Leena, la prononciation de Cassandre devait être terrible !

L'infirmière s'amusa de la joie de sa patiente en apprenant qu'elle était française. Quand Leena montrait une émotion, tout son visage semblait s'illuminer, la rendant encore plus charmante qu'à l'ordinaire. Et la tentative de phrase de la jeune fille lui apporta une nouvelle dose de nostalgie. Elle n'avait pas entendu sa langue maternelle depuis quelques années maintenant, et même avec cet accent estonien, entendre du français la remplissait de bonheur et de souvenirs d'enfance.

« Il te manque quelques mots, mais ta phrase est bien construite »  la félicita la française, qui savait que la synthaxe française était loin d'être facile à retenir.

Elle écouta ensuite Leena lui assurer qu'elle savait qu'elle devrait prendre soin d'elle, mais quelque chose dans sa posture indiquait à Cassandre que Leena continuerait à aller au bout de ses limites avant de venir la voir. Elle espérait juste que la jeune fille n'attendrait pas trop, pas au moins que Casssandre doive faire intervenir un médecin au sein de l'institut.

L'infirmière se fit cependant une note mentale de surveiller Leena discrètement, afin de s'assurer que tout aille bien pour elle. De ce qu'elle avait pu percevoir, la jeune estonienne avait un caractère résolumment optimiste, et son visage avait l'air d'être réellement le reflet de ce qu'elle pensait. Cassandre pensait donc pouvoir voir assez rapidement si Leena allait bien ou non en la regardant. Elle espérait au moins que ce soit aussi simple, parce qu'elle ne voulait pas que la jeune fille se sente harcelée si elle venait régulièrement lui demander si tout allait bien.

« Merci pour ton petit cours d'estonien. Et n'oublie pas de revenir dans une semaine, que je puisse regarder si ta plaie cicatrise bien ! »

Elle sortit le dossier de Leena de l'armoire derrière son bureau et nota scrupuleusement ce qu'elle avait fait à la jeune fille, et décrit du mieux qu'elle put la plaie de Leena, afin de pouvoir bien s'en remémorer quand elle viendrait la semaine suivante.

« D'ici là, on se croisera sûrement dans les couloirs ! Il faut que je visite un peu mieux l'école pour réussir à retenir toutes les pièces ! »

Cassandre n'était pas très douée en orientation, et après quelques jours passés à l'institut, elle se perdait encore régulièrement dans les couloirs. A se demander comment elle avait pu survivre dans New-York. (En oubliant toutes les fois où elle avait dû appelé un de ses colocataires pour qu'il l'aide à se retrouver dans la ville, après que même son gps ait laissé tomber.)

Cassandre ne put s'empêcher de sourire en constatant que le lit d'examen se parait de nouvelles couleurs à mesure que Leena laissait exploser sa joie. Le don de sa jeune patiente était vraiment intéressant à ses yeux !

« Reviens quand tu veux, je serai heureuse que tu me donnes des cours d'estonien » lui certifia l'infirmière, toujours souriante.

Leena lui dit visiter aussi, et Cassandre se rappela qu'elle aussi était une nouvelle arrivante. L'institut était peut-être un poil juste pour le nombre qu'ils étaient, il n'en restait pas moins une belle et grande demeure, et ce n'était pas toujours facile de s'y retrouver. Surtout quand on avait le sens de l'orientation d'une taupe aveugle, comme Cassandre... Elle allait même finir par errer dans les couloirs avec un stylo et une feuille histoire de tracer un plan à chaque fois qu'elle découvrirait une nouvelle pièce ! (Et vu son talent en dessin, le résultat n'allait pas être beau à voir...)

« Au revoir Leena. Et prends soin de toi. » répondit-elle à l'au revoir de Leena, prononçant la deuxième phrase en français, sachant que la jeune fille la comprendrait.

Cassandre regarda Leena partir, encore un peu hésitante sur ses béquilles même si elle devrait vite s'y faire. L'estonienne était un véritable rayon de soleil, et elle était ravie d'avoir pu la rencontrer. Elle se fit en elle même la promesse de veiller au bon moral de Leena, se disant que tous ici pouvaient bénéficier du sourire et de la joie de vivre de la jeune fille ! La plupart des élèves et professeurs qu'elle avait croisé affichaient des regards tristes et des visages maussades, et Cassandre pensait que côtoyer Leena ne pouvait que les aider !

Elle retira le drap jauni par la jeune fille pour le mettre à laver, et après avoir nettoyé le lit, en mit un nouveau, si un autre patient venait à passer par là. Elle rangea ensuite le dossier de Leena, faisant un brin de ménage en attendant d'avoir plus de travail.